ANALYSE. Les dirigeants du RN, qui craignaient une possible « rediabolisation » du parti à la mort de son fondateur, ont salué son parcours sans nuance, encouragés par un discours médiatique et politique très mesuré.
Le RN réhabilite Jean-Marie Le Pen sans faire de vagues
Clément Guillou
Les dirigeants du RN, qui craignaient une possible « rediabolisation » du parti à la mort de son fondateur, ont salué son parcours sans nuance, encouragés par un discours médiatique et politique très mesuré.
Il l’avait anticipée, visualisée, commentée depuis des années. Jean-Marie Le Pen n’avait rien à craindre de sa propre mort, survenue le 7 janvier. Ses successeurs davantage. Ils ignoraient sincèrement quelle en serait la réception par les Français, la presse, la classe politique, et les possibles retombées politiques. Les chausse-trappes étaient innombrables. Elles semblent, pour le Rassemblement national (RN), avoir été évitées. A bien des égards, la séquence offre une perspective paradoxale : la famille Le Pen a pu gagner en humanité, longtemps son point faible dans les enquêtes d’opinion, au moment même où elle saluait l’œuvre de son représentant le plus détesté et communiait avec les franges radicales de l’extrême droite.
Le mouvement de Marine Le Pen pouvait craindre la division dans ses rangs, entre les cadres et députés ayant adhéré par fascination pour Jean-Marie Le Pen et ceux qui ne l’ont rejoint qu’après son exclusion du parti par sa fille. Comme en octobre 2023, lorsqu’une députée RN avait qualifié le cofondateur d’antisémite, après que Jordan Bardella avait dit l’inverse. Cette fois, le respect dû aux morts a autorisé tous les élus, quelle que soit leur sensibilité, à ne retenir que la part de son héritage la plus appréciable à leurs yeux.
« S’il y a une dissolution en juillet, les adversaires du RN pourront leur reprocher cette solidarité avec Jean-Marie Le Pen. Mais dans deux ans, le temps aura fait son œuvre, estime Nicolas Lebourg, historien spécialiste du Front national. Reconnaître les excès et les polémiques, c’était aussi s’inscrire dans le camp de ceux qui ont osé. » Pour Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, « tous ceux qui pensaient que le moment de la mort de Jean-Marie Le Pen allait constituer un moment de rupture connaissent mal la psychologie de cette famille politique, où la repentance n’est pas la norme. »
Les croix celtiques évitées
Le déroulement des deux cérémonies d’hommage au défunt, l’une dans son fief de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), samedi 11 janvier, l’autre à Notre-Dame du Val-de-Grâce (Paris), cinq jours plus tard, était également craint par le parti. Moments de communion de la famille, ils sont aussi éminemment politiques. Dans le village breton, la cérémonie annoncée « dans la plus stricte intimité » a vu des employés de e-Politic, le prestataire de communication du Rassemblement national, filmer la lente marche de la famille Le Pen vers l’église, comme l’a révélé Libération. Un fascicule revisitant sélectivement l’œuvre politique du défunt était distribué. Plus que tolérées, les chaînes d’information en continu ont pu documenter de près l’émotion familiale.
A Paris, toutes les familles de l’extrême droite française étaient attendues, et craintes par Marine Le Pen. Un important dispositif policier aux abords de l’église, notamment, a permis d’éviter croix celtiques, saluts nazis ou folklore néofasciste, mais pas la présence de nombre d’antisémites patentés. En sortant de l’église, Marine Le Pen a serré quelques mains et arboré un léger sourire qu’elle n’avait plus esquissé depuis la mort de son père.
Dans une interview au magazine de Vincent Bolloré JDNews, convenue avant sa disparition, elle fait une confession d’une ambiguïté absolue, au sujet de l’exclusion de son père en 2015, après la réitération de ses propos négationnistes : « Je me poserai toujours la question : “Est-ce que j’aurais pu faire autrement ?” (…) Je ne me pardonnerai jamais cette décision, parce que je sais que cela lui a causé une immense douleur. » Cette décision est pourtant un marqueur de la vie politique de Marine Le Pen, censé acter son intolérance au révisionnisme et à l’antisémitisme de son père.
Est-ce le regret d’une fille ou de la dirigeante politique ? Son entourage défend la première option, mais les nostalgiques du père seront libres d’y voir une réhabilitation. D’autant plus que le parti, où rien ne se fait sans elle, se prête largement à cette entreprise de ripolinage du profil de son cofondateur.
Des unes avantageuses
Cette forme de réhabilitation a été accompagnée par les efforts des médias du groupe Bolloré, honorant la mémoire d’un homme décrit comme visionnaire. La nécrologie du Figaro décrit « un briseur de tabous » et renvoie les qualificatifs de racisme ou d’antisémitisme aux accusations de « détracteurs », tandis que le tribun d’extrême droite a collectionné les unes avantageuses du Figaro Magazine et de Paris Match. Les dirigeants de gauche n’ont pas, pour la plupart, tenté d’exploiter politiquement le décès du Breton et l’Elysée a refusé de qualifier son héritage politique, relevant, selon la présidence, « du jugement de l’Histoire ». Le premier ministre, François Bayrou, a vu en lui « un combattant » simplement lesté de « polémiques ». Quant à Eric Ciotti, éphémère dirigeant du parti gaulliste Les Républicains, il a assisté aux obsèques de celui qui avait inscrit l’antigaullisme dans son ADN politique.
Les scènes de joie sur la place de la République à Paris, rassemblant quelques centaines de personnes, ont été abondamment commentées et décriées. « Une doudoune léopard qui boit du champagne pour fêter la mort de Le Pen, si l’on est cynique, ce sont plutôt de bonnes images pour nous », glisse le député lepéniste Jean-Philippe Tanguy. « J’étais très pessimiste mais le monde politique s’est bien comporté, la couverture était beaucoup plus humaine que prévu, même à gauche », prolonge le président délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale.
Historien spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus voit dans la séquence écoulée un aveu, par la classe politique, que « l’argument moral ne fonctionne pas contre le RN. Depuis le 7 janvier, tout le monde a rappelé l’irrésistible ascension du FN entamée par Jean-Marie Le Pen. Mais personne n’a trouvé la clé pour qu’elle s’arrête ».
Le RN réhabilite Jean-Marie Le Pen sans faire de vagues
Clément Guillou
Les dirigeants du RN, qui craignaient une possible « rediabolisation » du parti à la mort de son fondateur, ont salué son parcours sans nuance, encouragés par un discours médiatique et politique très mesuré.
Il l’avait anticipée, visualisée, commentée depuis des années. Jean-Marie Le Pen n’avait rien à craindre de sa propre mort, survenue le 7 janvier. Ses successeurs davantage. Ils ignoraient sincèrement quelle en serait la réception par les Français, la presse, la classe politique, et les possibles retombées politiques. Les chausse-trappes étaient innombrables. Elles semblent, pour le Rassemblement national (RN), avoir été évitées. A bien des égards, la séquence offre une perspective paradoxale : la famille Le Pen a pu gagner en humanité, longtemps son point faible dans les enquêtes d’opinion, au moment même où elle saluait l’œuvre de son représentant le plus détesté et communiait avec les franges radicales de l’extrême droite.
Le mouvement de Marine Le Pen pouvait craindre la division dans ses rangs, entre les cadres et députés ayant adhéré par fascination pour Jean-Marie Le Pen et ceux qui ne l’ont rejoint qu’après son exclusion du parti par sa fille. Comme en octobre 2023, lorsqu’une députée RN avait qualifié le cofondateur d’antisémite, après que Jordan Bardella avait dit l’inverse. Cette fois, le respect dû aux morts a autorisé tous les élus, quelle que soit leur sensibilité, à ne retenir que la part de son héritage la plus appréciable à leurs yeux.
« S’il y a une dissolution en juillet, les adversaires du RN pourront leur reprocher cette solidarité avec Jean-Marie Le Pen. Mais dans deux ans, le temps aura fait son œuvre, estime Nicolas Lebourg, historien spécialiste du Front national. Reconnaître les excès et les polémiques, c’était aussi s’inscrire dans le camp de ceux qui ont osé. » Pour Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, « tous ceux qui pensaient que le moment de la mort de Jean-Marie Le Pen allait constituer un moment de rupture connaissent mal la psychologie de cette famille politique, où la repentance n’est pas la norme. »
Les croix celtiques évitées
Le déroulement des deux cérémonies d’hommage au défunt, l’une dans son fief de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), samedi 11 janvier, l’autre à Notre-Dame du Val-de-Grâce (Paris), cinq jours plus tard, était également craint par le parti. Moments de communion de la famille, ils sont aussi éminemment politiques. Dans le village breton, la cérémonie annoncée « dans la plus stricte intimité » a vu des employés de e-Politic, le prestataire de communication du Rassemblement national, filmer la lente marche de la famille Le Pen vers l’église, comme l’a révélé Libération. Un fascicule revisitant sélectivement l’œuvre politique du défunt était distribué. Plus que tolérées, les chaînes d’information en continu ont pu documenter de près l’émotion familiale.
A Paris, toutes les familles de l’extrême droite française étaient attendues, et craintes par Marine Le Pen. Un important dispositif policier aux abords de l’église, notamment, a permis d’éviter croix celtiques, saluts nazis ou folklore néofasciste, mais pas la présence de nombre d’antisémites patentés. En sortant de l’église, Marine Le Pen a serré quelques mains et arboré un léger sourire qu’elle n’avait plus esquissé depuis la mort de son père.
Dans une interview au magazine de Vincent Bolloré JDNews, convenue avant sa disparition, elle fait une confession d’une ambiguïté absolue, au sujet de l’exclusion de son père en 2015, après la réitération de ses propos négationnistes : « Je me poserai toujours la question : “Est-ce que j’aurais pu faire autrement ?” (…) Je ne me pardonnerai jamais cette décision, parce que je sais que cela lui a causé une immense douleur. » Cette décision est pourtant un marqueur de la vie politique de Marine Le Pen, censé acter son intolérance au révisionnisme et à l’antisémitisme de son père.
Est-ce le regret d’une fille ou de la dirigeante politique ? Son entourage défend la première option, mais les nostalgiques du père seront libres d’y voir une réhabilitation. D’autant plus que le parti, où rien ne se fait sans elle, se prête largement à cette entreprise de ripolinage du profil de son cofondateur.
Des unes avantageuses
Cette forme de réhabilitation a été accompagnée par les efforts des médias du groupe Bolloré, honorant la mémoire d’un homme décrit comme visionnaire. La nécrologie du Figaro décrit « un briseur de tabous » et renvoie les qualificatifs de racisme ou d’antisémitisme aux accusations de « détracteurs », tandis que le tribun d’extrême droite a collectionné les unes avantageuses du Figaro Magazine et de Paris Match. Les dirigeants de gauche n’ont pas, pour la plupart, tenté d’exploiter politiquement le décès du Breton et l’Elysée a refusé de qualifier son héritage politique, relevant, selon la présidence, « du jugement de l’Histoire ». Le premier ministre, François Bayrou, a vu en lui « un combattant » simplement lesté de « polémiques ». Quant à Eric Ciotti, éphémère dirigeant du parti gaulliste Les Républicains, il a assisté aux obsèques de celui qui avait inscrit l’antigaullisme dans son ADN politique.
Les scènes de joie sur la place de la République à Paris, rassemblant quelques centaines de personnes, ont été abondamment commentées et décriées. « Une doudoune léopard qui boit du champagne pour fêter la mort de Le Pen, si l’on est cynique, ce sont plutôt de bonnes images pour nous », glisse le député lepéniste Jean-Philippe Tanguy. « J’étais très pessimiste mais le monde politique s’est bien comporté, la couverture était beaucoup plus humaine que prévu, même à gauche », prolonge le président délégué du groupe RN à l’Assemblée nationale.
Historien spécialiste de l’extrême droite, Jean-Yves Camus voit dans la séquence écoulée un aveu, par la classe politique, que « l’argument moral ne fonctionne pas contre le RN. Depuis le 7 janvier, tout le monde a rappelé l’irrésistible ascension du FN entamée par Jean-Marie Le Pen. Mais personne n’a trouvé la clé pour qu’elle s’arrête ».
Merci :)