Ils ont manifesté, bloqué des autoroutes, brûlé deux ou trois trucs avant de rentrer chez eux, pensant naïvement avoir obtenu quelque chose. Les agriculteurs, pas plus que les autres citoyens n'ont le moindre contrôle sur...
Les citoyens ont commencé à réellement comprendre qu’ils n’avaient que peu de contrôle sur leurs propres existences avec la crise des « subprimes » en 2008 et celle de la dette souveraine qui a commencé en 2010. Tout le monde ou presque a alors pris conscience (avant de l’oublier à nouveau ?) que nos vies étaient désormais à la merci de quelques financiers en costume prenant des décisions (pas toujours intelligentes) en haut de tours vitrées et qui nous regardent comme on observe des insectes accrochés avec une épingle dans une vitrine. Il dictent les lois avec l’aide de grands cabinets de consulting , des textes qu’ils seront souvent les seuls à savoir utiliser pour mettre en place une politique de prédation totale au détriment, évidemment, du plus grand nombre.
Pressés jusqu’à ce qu’il ne leur reste plus rien, les citoyens courent comme des lapins aveuglés par des phares. De temps en temps, quand il n’en peuvent vraiment plus, ils descendent dans la rue et espèrent que les dirigeants qu’ils ont élus et qui sont donc à leur service, simples dépositaires du pouvoir du peuple, vont répondre à leurs demandes.
C’est le cas récemment des agriculteurs. Ils ne parlaient pas d’une seule voix puisqu’il y avait là des petits producteurs et des dirigeants de méga consortiums qui pensent faire la pluie et le beau temps.
Ont-ils obtenu ce qu’ils voulaient ? Oui et non. Certains, parmi eux, pensent que les choses vont se simplifier, qu’il y aura moins de paperasse, comme l’a promis le premier ministre. Ce dernier étant un pur produit de ce que ce monde financiarisé peut fabriquer, il est parfaitement au courant de ses limites. Il sait qu’il ne peut rien pour les agriculteurs et que tout ce qu’il annonce n’est que de la poudre de perlimpinpin.
Il est évidement assez facile d’asséner ce type d’argument d’autorité et de surfer sur le complotisme le plus naze (une cabale dirige le monde dans l’ombre et les politiques sont des marionnettes).
Mais laissez-moi vous raconter une anecdote ancienne pour vous permettre de mesurer l’ampleur de l’écroulement de la rationalité au profit du monde de la finance, depuis un demi-siècle.
Souvenez-vous, l’une des revendications des agriculteurs était d’obtenir de meilleurs prix, qui leur permettraient de vivre décemment de leur production. Mon anecdote vous permettra de comprendre que ni Gabriel Attal, ni Edouard Leclerc, ni personne, ne peut régler ce problème.
Avis de tempête
Flash-back en 1997. Je suis alors journaliste à l’Agefi, un quotidien extrêmement financier. L’un de mes collègues passe son temps sur je ne sais plus quel écran (Bloomberg ?) à surveiller des prévisions météo plus ou moins fiables à un mois ou plus. Il s’intéresse particulièrement aux ouragans et autres tempêtes violentes et à ce qui se passe en Amérique du Sud. Intrigué, je lui demande pourquoi il s’intéresse tant à tout cela. Notez que l’on en est alors aux balbutiements d’Internet et que ces sujets lointains sont plus complexes à appréhender à l’époque.
Il m’explique qu’il investit sur les marchés des futures, notamment sur le cacao via les marchés à terme. Bref, il spécule sur le prix à venir du cacao. S’il y a des ouragans au dessus du continent sud-américain, il est probable que les cours montent, puisque les récoltes s’annoncent mauvaises. Mais dans l’attente de ces tempêtes hypothétiques, qu’est-ce qui fait bouger les cours du cacao pour le paysan au Brésil, en Equateur, au Pérou, en Colombie, au Venezuela ou en Bolivie ? En bonne partie, l’évolution des futures.
En d’autres termes, un paysan bolivien va voir le cours de son cacao baisser ou monter d’un jour à l’autre dans la coopérative où il le vend, non pas parce que sa récolte est bonne ou mauvaise, ni parce que son cacao est bon ou mauvais au goût. Mais parce que des guignols qui parfois ne comprennent même plus les produits financiers complexes qu’ils ont fabriqué, spéculent sur la survenance ou pas d’une tempête, dans un ou deux mois à l’autre bout de la planète, avant d’aller tranquillement boire un verre dans un restaurant chic de Londres ou de New York ou de s’enfiler une ligne de cocaïne, produite elle aussi en Amérique du Sud mais pour laquelle il n’y a pas de futures cotés sur nos marchés financiers.
Revenons à nos agriculteurs français. Ils ont le même souci avec leur blé par exemple. Il existe des futures sur le blé et il n’est pas idiot de penser que les prix du blé, in fine, sont influencés par ces futures. Le pire, c’est que les dingos qui ont financiarisé nos existences et qui guident les mains de ceux qui produisent les lois, ont pensé à tout pour que l’on marche réellement sur la tête. Il est possible de prendre des positions énormes sans avoir à avancer l’argent. « Un contrat à terme ne requiert qu’un apport de 5 %, soit un effet de levier de 20 (un investisseur peut prendre une position 20 fois supérieure à son capital initial) », explique Pour l’Éco.
Seuls les politiques pourraient changer la donne car le seul pouvoir qui leur reste est de faire la loi à laquelle sont à peu près tenus même les membres du monde de la finance. Mais pour que cela marche, il faudrait une unanimité de tous les pays. La régulation du secteur financier n’arrivera donc jamais, quelles que soient les crises dans lesquelles il plonge régulièrement l’économie réelle. C’est à dire vous et moi.
Les citoyens ont commencé à réellement comprendre qu’ils n’avaient que peu de contrôle sur leurs propres existences avec la crise des « subprimes » en 2008 et celle de la dette souveraine qui a commencé en 2010. Tout le monde ou presque a alors pris conscience (avant de l’oublier à nouveau ?) que nos vies étaient désormais à la merci de quelques financiers en costume prenant des décisions (pas toujours intelligentes) en haut de tours vitrées et qui nous regardent comme on observe des insectes accrochés avec une épingle dans une vitrine. Il dictent les lois avec l’aide de grands cabinets de consulting , des textes qu’ils seront souvent les seuls à savoir utiliser pour mettre en place une politique de prédation totale au détriment, évidemment, du plus grand nombre.
Pressés jusqu’à ce qu’il ne leur reste plus rien, les citoyens courent comme des lapins aveuglés par des phares. De temps en temps, quand il n’en peuvent vraiment plus, ils descendent dans la rue et espèrent que les dirigeants qu’ils ont élus et qui sont donc à leur service, simples dépositaires du pouvoir du peuple, vont répondre à leurs demandes.
C’est le cas récemment des agriculteurs. Ils ne parlaient pas d’une seule voix puisqu’il y avait là des petits producteurs et des dirigeants de méga consortiums qui pensent faire la pluie et le beau temps.
Ont-ils obtenu ce qu’ils voulaient ? Oui et non. Certains, parmi eux, pensent que les choses vont se simplifier, qu’il y aura moins de paperasse, comme l’a promis le premier ministre. Ce dernier étant un pur produit de ce que ce monde financiarisé peut fabriquer, il est parfaitement au courant de ses limites. Il sait qu’il ne peut rien pour les agriculteurs et que tout ce qu’il annonce n’est que de la poudre de perlimpinpin.
Il est évidement assez facile d’asséner ce type d’argument d’autorité et de surfer sur le complotisme le plus naze (une cabale dirige le monde dans l’ombre et les politiques sont des marionnettes).
Mais laissez-moi vous raconter une anecdote ancienne pour vous permettre de mesurer l’ampleur de l’écroulement de la rationalité au profit du monde de la finance, depuis un demi-siècle.
Souvenez-vous, l’une des revendications des agriculteurs était d’obtenir de meilleurs prix, qui leur permettraient de vivre décemment de leur production. Mon anecdote vous permettra de comprendre que ni Gabriel Attal, ni Edouard Leclerc, ni personne, ne peut régler ce problème. Avis de tempête
Flash-back en 1997. Je suis alors journaliste à l’Agefi, un quotidien extrêmement financier. L’un de mes collègues passe son temps sur je ne sais plus quel écran (Bloomberg ?) à surveiller des prévisions météo plus ou moins fiables à un mois ou plus. Il s’intéresse particulièrement aux ouragans et autres tempêtes violentes et à ce qui se passe en Amérique du Sud. Intrigué, je lui demande pourquoi il s’intéresse tant à tout cela. Notez que l’on en est alors aux balbutiements d’Internet et que ces sujets lointains sont plus complexes à appréhender à l’époque.
Il m’explique qu’il investit sur les marchés des futures, notamment sur le cacao via les marchés à terme. Bref, il spécule sur le prix à venir du cacao. S’il y a des ouragans au dessus du continent sud-américain, il est probable que les cours montent, puisque les récoltes s’annoncent mauvaises. Mais dans l’attente de ces tempêtes hypothétiques, qu’est-ce qui fait bouger les cours du cacao pour le paysan au Brésil, en Equateur, au Pérou, en Colombie, au Venezuela ou en Bolivie ? En bonne partie, l’évolution des futures.
En d’autres termes, un paysan bolivien va voir le cours de son cacao baisser ou monter d’un jour à l’autre dans la coopérative où il le vend, non pas parce que sa récolte est bonne ou mauvaise, ni parce que son cacao est bon ou mauvais au goût. Mais parce que des guignols qui parfois ne comprennent même plus les produits financiers complexes qu’ils ont fabriqué, spéculent sur la survenance ou pas d’une tempête, dans un ou deux mois à l’autre bout de la planète, avant d’aller tranquillement boire un verre dans un restaurant chic de Londres ou de New York ou de s’enfiler une ligne de cocaïne, produite elle aussi en Amérique du Sud mais pour laquelle il n’y a pas de futures cotés sur nos marchés financiers.
Revenons à nos agriculteurs français. Ils ont le même souci avec leur blé par exemple. Il existe des futures sur le blé et il n’est pas idiot de penser que les prix du blé, in fine, sont influencés par ces futures. Le pire, c’est que les dingos qui ont financiarisé nos existences et qui guident les mains de ceux qui produisent les lois, ont pensé à tout pour que l’on marche réellement sur la tête. Il est possible de prendre des positions énormes sans avoir à avancer l’argent. « Un contrat à terme ne requiert qu’un apport de 5 %, soit un effet de levier de 20 (un investisseur peut prendre une position 20 fois supérieure à son capital initial) », explique Pour l’Éco.
Seuls les politiques pourraient changer la donne car le seul pouvoir qui leur reste est de faire la loi à laquelle sont à peu près tenus même les membres du monde de la finance. Mais pour que cela marche, il faudrait une unanimité de tous les pays. La régulation du secteur financier n’arrivera donc jamais, quelles que soient les crises dans lesquelles il plonge régulièrement l’économie réelle. C’est à dire vous et moi.
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