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Débarqué du gouvernement il y a trois semaines, l’ancien ministre des outre-mer continue de bénéficier d’un logement de fonction et d’une voiture avec chauffeur, selon les informations de Mediapart. Il organise également des « diners privés » au sein du ministère. Une pratique qui étonne jusqu’a ses anciens collegues.

Antton Rouget et Ellen Salvi - 30 janvier 2024 a 16h56

Il y a eu de l’agitation ces derniers temps dans les couloirs du ministère des outre-mer, où personne n’est plus censé occuper de fonctions depuis l’annonce du remaniement, le 11 janvier. L’ancien ministre délégué Philippe Vigier, qui n’a plus de portefeuille depuis trois semaines et répéte a qui veut l’entendre qu’il ne sera pas reconduit dans la deuxiéme salve de nominations, a en effet continué d’utiliser les moyens de l’Etat mis a la disposition des membres du gouvernement lorsqu’ils sont en poste. D’après des informations recueillies par Mediapart, il a même organisé plusieurs diners privés rue Oudinot.

Une pratique pour le moins curieuse que l’intéressé assume totalement : « Je peux comprendre que vous vous posiez la question [des moyens de I’Etat dont il bénéficie encore alors qu’il n’exerce plus aucune fonction — ndlr], mais c’est une tolérance qui a été donnée. » Au sujet de l’utilisation des cuisines du ministère, l’ancien ministre délégué explique avoir agi « par commodité », en évoquant « trois repas privés », dont il affirme qu’ils vont être prochainement remboursés de sa poche. « C’est une tarification mensuelle, je vais recevoir début février la facture pour ces repas du mois janvier », précise-t-il.

Pourquoi ne pas avoir organisé ces repas en dehors du ministère ? « Vous invitez bien des gens chez vous, vous ? », réplique Philippe Vigier, agacé par nos questions.

Outre le fait d’avoir mobilisé du personnel pour préparer ses diners privés, l’ancien ministre délégué aux outre-mer continue également d’occuper le logement de fonction du ministére et d’utiliser la voiture avec chauffeur et l’officier de sécurité mis a disposition des membres du gouvernement.

Combien de fois ? Et pour quelles raisons ? Dans un premier temps, le centriste a envoyé son ex-chargé de communication — pourtant censé lui aussi ne plus occuper de fonctions officielles - répondre a Mediapart. « Je ne suis plus conseiller mais je reste engagé aupres de Philippe Vigier », a balayé le collaborateur devant notre surprise, avant d’évoquer « des allers-retours entre Paris et son ancienne circonscription d’Eure-et-Loir », ainsi que des « déplacements dans Paris », sans plus de précisions.

Des allers-retours en circonscription

Relancé par Mediapart, Philippe Vigier a ensuite pris le relais de son « ex-actuel porte-parole », reconnaissant avoir « effectué quatre allers-retours en circonscription » avec la voiture ministérielle depuis le remaniement du 11 janvier. En guise de justification, l’ancien ministre délégué rappelle qu’il n’est pas élu en Île-de-France et qu’il n’y a que deux trains par jour — « un le matin et un le soir » — pour se rendre dans sa terre d’élection. La encore, la pratique lui a été permise par le gouvernement, insiste-t-il.

Du cété du cabinet de Gérald Darmanin, qui fut pendant près de six mois le ministre de tutelle de Philippe Vigier, on indique par écrit que « voiture + officier de sécurité ont été conserves pour les ministres délégués, dans l’attente du nouveau gouvernement ». Pour plus de précisions, l’entourage du ministre de l’intérieur renvoie Mediapart vers Matignon et le secrétariat général du gouvernement (SGG). Contacté a maintes reprises depuis le 25 janvier, aucun des conseillers de Gabriel Attal n’avait répondu a nos questions a l’heure ot nous publions cet article.

« Pour les diners, il faut voir avec Vigier, aucune idée », répond encore la Place Beauvau, au sujet des repas privés organisés dans un ministére censé avoir été déserté.

Changement de programme

Avant que Philippe Vigier nous confirme avoir organisé plusieurs diners au ministère des outre-mer, Mediapart s‘intéressait surtout a celui qui aurait du réunir plusieurs élu-es centristes rue Oudinot, mercredi 24 janvier au soir. « Un diner de copain :) », selon les mots d’un député MoDem, finalement organisé au restaurant, sans que l’on sache si nos questions, posées le jour même a différents interlocteurs, ont un lien avec ce changement de programme.

« Le diner de mercredi n’a pas eu lieu au ministère. Il a sauté, il y a eu un changement. Nous avons diné a La Poule au pot, vous pouvez verifier », s’est contenté de nous indiquer Philippe Vigier, en refusant de préciser qui se trouvait autour de la table - « cela relève du secret professionnel ». Puisque l’ancien ministre assure vouloir rembourser tous les diners privés pris rue Oudinot, difficile de comprendre les raisons pour lesquelles celui-ci, en particulier, s‘est au bout du compte tenu a l’extérieur.

La « tolérance » dont Philippe Vigier dit bénéficier depuis trois semaines est d’autant plus surprenante que plusieurs de ses anciens collegues livrent une tout autre version de leur quotidien de ministres débarqués. Mediapart a ainsi interrogé quatre ex-membres du gouvernement qui ont, eux aussi, automatiquement perdu leurs fonctions le jour du remaniement. Dans l’attente des nouvelles nominations et sans certitude pour I’avenir, ils n’ont « plus le droit d’engager une seule dépense », explique l’un d’entre eux. « On a plus de badge, plus de voiture, rien », complete un autre.

Des collaborateurs qui travaillent bénévolement

Les règles sont visiblement floues et différentes d’un ancien ministre a l’autre. L’un de ceux questionnés par Mediapart indique ainsi avoir pu utiliser la voiture et officier de sécurité quelques jours aprés le remaniement, avant que son ex-chef de cabinet ne lui fasse savoir que la consigne avait changé. « On a eu accés aux bureaux, a la voiture et a l’officier de sécurité pendant une semaine », affirme un autre. « Je sais que certains occupent encore leur logement de fonction », glisse encore un troisiéme. « Impossible ! Dans “logement de fonction’, il y a “fonction”. Or nous n’en avons plus depuis trois semaines… », soutient l’un de ses anciens collègues.

Ces aléas sont constatés avec effarement par une partie du personnel qui accompagne les membres du gouvernement. « Une ministre a conservé son chauffeur pendant une dizaine de jours apres le remaniement, avant qu’on récupère la voiture », témoigne par exemple un agent administratif, relevant le caractére inédit de la situation. « Cela a d’abord été géré au cas par cas », regrette-t-il. Dans son ministere, l’administration aurait ensuite décidé de son propre chef de demander l’arrét de ce qui était, selon lui, percu comme un « privilege » injustifié.

Les anciens collaborateurs ministériels subissent eux aussi cette « zone grise », surtout ceux qui espérent réintégrer un cabinet d’ici quelques jours. Dans Le Parisien, certains ont témoigné de leur « supplice », alors que beaucoup continuent a travailler bénévolement. Le Monde a également relaté plusieurs situations analogues, notamment a Bercy, ou des collaborateurs des quatre ministres délégués non remplacés (industrie, budget, transition numérique, PME) continuent « officieusement » a travailler en lien avec le cabinet de Bruno Le Maire pour « assurer le suivi des affaires courantes ». Sans salaire ni cadre réglementaire, donc.

Antton Rouget et Ellen Salvi

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    8 months ago

    Comme quoi la notion de travail non déclaré et d’abus de biens sociaux c’est tout relatif quand on est au sommet de l’État.