• Camille d'Ockham
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    5 days ago

    Si on m’embauchait je ferais bien une analyse sémiotique d’un échantillon des cahiers tiens. Quel est l’univers de sens commun à toutes les doléances ? Quelles sont les grandes oppositions entre les variantes ? Qu’est-ce que ça dit des participant·e·s et de l’imaginaire politique français ?


    En lisant l’article académique des auteur·e·s ça m’a interpelé :

    L’absence « des pauvres » nous a tout d’abord paru paradoxale puisque, comme nous venons de le voir, il est largement question de pauvreté dans les cahiers. Il n’y a pourtant pas de « pauvres » dans ces écrits : il y a des « travailleurs pauvres » ou des « retraités pauvres ». En d’autres termes, « pauvre » n’est pas un substantif décrivant une condition en soi, c’est plutôt un adjectif qui qualifie la dégradation d’un statut.

    Nous avons vu que dans quelques doléances qui traitent de l’aide sociale, celle-ci apparaît comme l’envers du travail et des apports qui y sont liés : « Arrêter de verser de l’argent à des gens qui ne font rien genre RSA aider plus la classe moyenne c’est les gens avec un SMIC qui travaillent et ne peuvent pas boucler les fins de mois » Les allocataires sont parfois traités d’« assistés », de simples receveurs : « Et peut-être allons continuer à payer cet impôt injuste [CSG] pour financer ceux qui ne travaillent pas et vivent des minima sociaux […]. Je pense qu’il faut cesser d’assister les personnes. Lorsqu’on vit d’assistanat on s’installe dans cette situation […] » Se loge là toute la différence entre « travailleurs pauvres » et « pauvres », dont l’absence dessine à contrejour le cadre de la « légitimité citoyenne » dans lequel les cahiers s’inscrivent. Les « pauvres » – c’est-à-dire les assistés –, à la différence des « travailleurs pauvres », sont exclus du cadre de la réciprocité.

    […]

    Cette idée de citoyenneté dominée par une stricte réciprocité a manifestement fonctionné comme un filtre, en décourageant certains à prendre part à l’écriture des cahiers, en interpellant d’autres à manifester leur présence, et en orientant toujours la présentation de soi et de ses demandes. La source est une explicitation des critères requis pour prendre part « au banquet commun », « pour s’asseoir autour de la table dans laquelle les ressources communes sont redistribuées ». L’absence d’« étrangers » et de « pauvres », la riche représentation des métiers d’utilité publique et de retraités, l’apparition du soin et de la prise en charge parmi les principes de participation au commun définissent ces critères de légitimité. Les doléances ne questionnent pas la pertinence de la division de la société en classes sociales ni l’intégration de chaque classe dans son ensemble. Elles débattent des modalités de la redistribution à l’intérieur d’une société reconnue comme hiérarchisée, inégale et interdépendante. La menace qui plane sur celles et ceux qui se sont sentis interpellés par l’ouverture des cahiers est le basculement dans la dépendance, et donc la sortie, pour eux ou leurs enfants, de ce cadre de la réciprocité qui, seul, leur paraît donner accès à des droits.

    Vu que sur le territoire d’où viennent les cahiers analysés a surtout vu une participation des gilets jaunes, on peut se dire qu’ils ont récupéré la partie la plus à droite du mouvement. Qui a toujours été bien réelle, malgré ce qui a pu se dire à gauche. Les GJ n’étaient pas tous des ptis bébous socialistes un peu confus.