Le «miracle» durian nourrit la concurrence en Asie du Sud-Est
Face à une demande chinoise, qui semble pour l’instant sans limite pour le «roi des fruits», la Thaïlande, le Vietnam et la Malaisie plantent, produisent, exportent à tout va et se livrent à une compétition acharnée.
par Arnaud Vaulerin, publié aujourd’hui à 11h04
En Asie, il est surnommé le «roi des fruits». Et sans vouloir relancer l’interminable et quasi guerre de religion alimentaire entre adorateurs et détracteurs du durian, on se demande bien pourquoi, tant son odeur pour le moins particulière et intense - pour dire les choses avec beaucoup d’euphémismes - constitue un repoussoir efficace. Mais là n’est pas le sujet. Ce fruit de la taille d’une pastèque, hérissé de piquants sur sa coque et à la chair jaune est en train de devenir, sinon une pomme de discorde entre les économies de l’Asie du Sud-Est, l’objet, en tout cas, d’une féroce compétition. Sinon «roi des fruits», le durian s’est imposé comme le «roi de l’agriculture» en Asie où il reste autant un aliment de base et qu’un élément de la culture de toute la région.
L’année dernière, la valeur des exportations de durian de l’Asie du Sud-Est vers la Chine s’élevait à 6,7 milliards de dollars, soit douze fois plus qu’en 2017, notait, lundi, le New York Times. Elle concentre à elle seule environ 95% des importations mondiales, selon des données de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies. En 2023, les Chinois ont reçu la quantité impressionnante de 1,426 million de tonnes de durians frais, notamment en provenance de Thaïlande (929 000 tonnes), assure l’Administration générale des douanes de Chine. La Malaisie et le Vietnam sont les autres principaux vendeurs. Les exportations vietnamiennes connaissent un vrai boom.
«Année charnière»
Fin mai, tout en appelant à la mise en place d’une gestion durable du secteur, l’industrie fruitière du Vietnam parlait d’un «miracle» pour la filière, avec une valeur d’exportation de plus de 2,2 milliards de dollars en 2023 (cinq fois plus que l’année précédente). Et tablait sur une nouvelle augmentation de la production, laissant espérer un chiffre d’affaires de 3,5 milliards. «2024 sera une année charnière sur le marché chinois, où il reste encore beaucoup de place et de potentiel pour l’exportation de fruits et légumes», expliquait le PDG de la société Ameii, un des leaders du marché, Nguyên Khac Tiên, au Courrier du Vietnam. Selon les autorités vietnamiennes, 35 000 tonnes de durian avaient déjà franchi la frontière chinoise au premier trimestre 2024.
Cette hausse généralisée est en grande partie due au nouveau Partenariat économique régional global, qui a permis à la Chine d’importer plus facilement des fruits frais en provenance des pays d’Asie du Sud-Est depuis janvier 2022. La filière fruitière a également fait des efforts sur la qualité des fruits - sa maturité -, sur une meilleure gestion de la chaîne du froid et de la conservation, notamment grâce à de meilleurs temps de transports. L’ouverture en décembre 2021 d’une liaison ferroviaire à grande vitesse entre la République démocratique populaire du Laos et la Chine a réduit à quinze heures le voyage des durians thaïlandais quand il fallait plusieurs jours, voire plusieurs semaines, auparavant. Ce fruit est devenu le troisième produit d’exportation agricole de la Thaïlande, derrière le caoutchouc naturel et le riz.
Arrachage de plants de café
«Le durian est une culture d’une valeur exceptionnelle et, étant l’un des fruits les plus prolifiques d’Asie du Sud-Est, le marché de l’exportation du durian a connu une croissance dynamique au cours des deux dernières décennies. Les quantités échangées au niveau mondial ont plus que décuplé entre 2003 et 2022, atteignant par intermittence un pic de 930 000 tonnes en 2021», indique l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations unies dans une note sur le commerce mondial du durian.
Frontalier de la Chine, le Vietnam se tourne de plus en plus vers cette culture lucrative. Le pays, qui reste le deuxième producteur de café au monde derrière le Brésil, convoite de plus en plus la poule aux oeufs d’or du durian. Dans les provinces du sud et du centre du pays, près de 35 000 nouveaux hectares ont été affectés à la culture du «roi des fruits» l’année dernière. Au risque de réduire la superficie des terres pour la culture du robusta et de faire monter les cours du café. Cette tendance s’inscrit dans le contexte d’une plus grande pénurie d’approvisionnement due au phénomène climatique El Niño, qui a provoqué une sécheresse en Asie du Sud-Est.
La Malaisie est l’autre grand pays de la région lancé dans l’aventure. «Je pense que le durian sera le nouveau boom économique de la Malaisie», a déclaré au New York Times Mohamad Sabu, ministre malaisien de l’Agriculture et de la Sécurité alimentaire. Depuis une quinzaine d’années, une industrie s’est développée. Comme au Vietnam, des terrains ont été aménagés pour cette culture qui a bâti des richesses et accéléré la concurrence.
La compétition féroce entre les producteurs et les exportateurs de la région a fait baisser les prix. Sans que l’on sache si cette tendance s’installera sur le long terme. La vague de chaleur récente en Asie du Sud-Est risque d’avoir un effet sur les volumes de production et les cours. De même, les marchés à hauts revenus tels que l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, pourraient faire monter les prix. Mais pour l’heure, l’appétit pour le durian reste très mesuré dans ces régions. Le «roi des fruits» n’y est pas encore en odeur de sainteté.
La chair du Durian non préparée doit se consommer sous 24 h ou 48 h. Je me souviens avoir vu un reportage qui expliquait comment une filière de Tencent (si je ne dis pas de bêtise) à ouvert une ligne de fret aérien dédié à l’expédition des durian malaisiens frais en Chine durant la pandémie. Les malaisiens cultiveraient dans une région bien précise une espèce de durian de luxe que les touristes chinois venaient directement dégustés sur place avant les restrictions sanitaires.