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« Chaque truc qu’il touche se casse la gueule » : les mauvaises fortunes de Pierre-Edouard Stérin
Projets à l’arrêt, mauvaise réputation, manque de liquidités… Le milliardaire proche de l’extrême droite traverse une passe difficile en politique, mais aussi dans ses affaires.
La villa de douze chambres, située dans une commune huppée du littoral basque, a été mise en vente. Pierre-Edouard Stérin aura à peine profité de cette large bâtisse rouge et blanche avec vue sur mer achetée en 2023. L’homme d’affaires, proche de l’extrême droite, exilé fiscal en Belgique depuis 2012, projetait pourtant d’en faire un point d’ancrage familial. Mais la fuite de son nom dans la presse locale l’a décidé à se séparer de cette demeure d’exception. Depuis qu’il ne cache plus sa volonté de peser sur la présidentielle de 2027 et d’y imposer ses obsessions, catholiques et identitaires, son nom est sulfureux. « Résultat, des tags et des collages ont été réalisés, peste Pierre-Edouard Stérin. Vous pensez que j’ai envie de conserver à long terme une maison dont les militants radicaux de la gauche et de l’extrême gauche ont l’adresse ? » Il devrait s’y retrouver : achetée aux enchères « seulement » 6 millions d’euros il y a deux ans, la villa est à vendre 15 900 000 euros. La mésaventure illustre la mauvaise passe qui touche les activités de Stérin. Il semble loin le temps où le patron de Smartbox (ces coffrets-cadeaux pour des week-ends ou des activités sportives) évoluait en toute discrétion, organisant dans le plus grand secret des entretiens avec des politiques - de Bruno Retailleau à Marion Maréchal - afin de trouver le candidat idéal pour promouvoir son agenda. Depuis que « l’Humanité » a révélé, à l’été 2024, le contenu de son projet Périclès, prévoyant d’investir 150 millions d’euros en dix ans dans des projets politiques, médiatiques et culturels, sa fortune est l’objet de tous les fantasmes. Et Stérin fait figure de « saint patron des réacs », comme le montrait « le Nouvel Obs » en février lors d’une enquête sur ses très opaques investissements politiques et associatifs. Désormais, chaque initiative soutenue par le milliardaire provoque son lot de polémiques. Voire, dans plusieurs villes, l’arrêt de projets en cours. Le lancement, ce mois de septembre, de son internat catholique pour garçons en Sologne a été entaché par une lettre ouverte d’élus et de syndicalistes de gauche, inquiets des risques d’endoctrinement. Le spectacle historique « Murmures de la cité », à Moulins, a fait l’objet de vives critiques de la part d’historiens et d’enseignants, qui dénoncent une instrumentalisation du passé. Cet été, l’inoffensif label « Les plus belles fêtes de France », accordé à des dizaines de manifestations populaires, a provoqué une multitude d’articles dans la presse régionale, après la révélation de ses liens avec Stérin. Impossible, pour les organisateurs de la foire aux champignons de Saint-Bonnet-le-Froid, le carnaval de Granville ou la fête du piment d’Espelette d’être associés à cet homme d’affaires anti-IVG, anti-mariage pour tous et qui assume vouloir contribuer à la naissance de « plus de bébés de souche européenne ». Image sulfureuse « Chaque truc qu’il touche se casse la gueule », souffle un ex-compagnon de route. Récemment, Stérin a congédié sans ménagement Philippe de Gestas, l’ancien secrétaire général du Mouvement conservateur, petit parti lié à Eric Zemmour, jusqu’ici conseil pour les activités de Périclès. Le milliardaire l’accusait de n’avoir pas obtenu assez de résultats (les fameux « TRI », ou taux de rendement interne, dans son langage d’entrepreneur). Sa structure philanthropique, le Fonds du Bien commun, est aussi touchée par un net ralentissement. Plusieurs associations ont renoncé à lui présenter un projet, de peur qu’un tel soutien ne leur fasse perdre, comme à d’autres, des financements.
L’image de l’homme s’est aussi dégradée, y compris au sein des milieux de droite, depuis qu’il a séché, le 14 mai, son audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’organisation des élections, devant laquelle il avait été convoqué pour s’expliquer sur ses intentions politiques. Une enquête judiciaire a été ouverte, ce refus de comparaître étant passible de deux ans d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende. Celui qui prête volontiers son argent au Rassemblement national (RN) est aussi au coeur d’une autre enquête, sur le financement illégal de candidats lepénistes, a révélé « le Monde » en juillet. Une image sulfureuse volontiers entretenue par Stérin, comme lorsqu’il baptise sa holding de tête « Holding Lemahieu », du nom d’un journaliste de « l’Humanité » auteur de nombreuses enquêtes à son sujet. Valorisations « gonflées » ? Même ses affaires, en apparence florissantes, éveillent les soupçons. Car quand il ne s’amuse pas avec la politique, cet amoureux des chiffres et des notes se consacre à ce qu’il fait le mieux : trouver des idées pour gagner de l’argent. Des opérations réalisées le plus souvent à travers Otium Capital, son fonds d’investissement, officiellement valorisé 1,7 milliard d’euros. C’est là que l’entrepreneur place les profits dégagés par la société Smartbox et investit ses bénéfices dans une myriade d’autres entreprises ou start-up en cours de développement. Cette structure familiale, sans investisseurs extérieurs, affiche un taux de croissance insolent. « On fait 25 % de TRI. En 2022, Otium était valorisé 900 millions d’euros, aujourd’hui 1,7 milliard », assure avec fierté François Durvye, directeur général d’Otium et bras droit de Stérin. Une croissance très supérieure à la moyenne du secteur. Mais plusieurs sources évoquent, en interne, une pression forte de Durvye pour « gonfler » les valorisations des entreprises. Des accusations que dément catégoriquement la direction d’Otium, qui met en avant la validation de sa situation financière, deux fois par an, par une agence de notation indépendante. Son DG, devenu par ailleurs un des principaux conseillers économiques de Jordan Bardella et de Marine Le Pen, tire bien son épingle du jeu financier : le chiffre d’affaires de sa société personnelle, sur laquelle est versé son salaire d’Otium, s’élève à 1,4 million d’euros entre 2023 et 2024.
Otium traverse pourtant une crise de liquidités. « Effectivement, on a moins de cash disponible qu’à d’autres moments », reconnaît François Durvye. Il confirme que la société compte environ 400 millions d’euros de dette, mais insiste : ce type de fonds investit le moindre euro disponible. La situation est-elle fragile ? Un pourcentage important de la valeur d’Otium dépend de la valeur estimée de Smartbox. Problème : le modèle économique de l’entreprise, qui repose en partie sur le fait que les coffrets-cadeaux ne soient pas utilisés, est fragile, de moins en moins rentable, et les tentatives de cession ont toutes échoué. Rétropédalages De quoi laisser suspecter une crise plus profonde, redoutent certains partenaires et prestataires de Stérin. D’autant qu’Otium a aussi rétropédalé sur plusieurs projets, pourtant très avancés. C’était le cas en avril 2025, lors du rachat avorté de l’équipementier automobile GMD. Alors que l’opération était sur le point d’aboutir après un an de discussions, le financier s’est retiré sans explications la veille d’une signature importante, selon les syndicats et l’ex-propriétaire du groupe. « Le vendeur nous a menti. Nous avions un contrat d’exclusivité et il a décidé de faire entrer dans la boucle un investisseur chinois », conteste Pierre-Edouard Stérin. Plus récemment encore, ses équipes ont mené de longues négociations pour racheter le média en ligne Neo, dans lequel il possède une part minoritaire. Avant de se retirer, là aussi, au dernier moment. « La valeur proposée pour augmenter notre part au capital nous a semblé surévaluée », balaie Stérin.
Est-ce par manque de liquidités qu’il semble vouloir vendre le Biarritz Olympique ? Cet été, ce joueur de padel est devenu, à la surprise générale, propriétaire de ce club de rugby mythique, dans lequel il possédait déjà des parts et dont il ignorait jusqu’à la division. Une présence dénoncée par certains supporters : le déploiement, en mars, de deux banderoles contre le fascisme dans les tribunes n’est pas passé inaperçu. « Pierre-Edouard Stérin n’a pas vocation à rester indéfiniment propriétaire du BO », nous confirme Cyril Arrosteguy, président du directoire, qui précise que Stérin aurait déjà ouvert des négociations pour chercher des capitaux ou vendre ses parts pour 3,5 millions d’euros. Interrogé, « PES » dément fermement toute volonté de vendre, en contradiction avec le président du club. Mais selon le journal en ligne L’Informé, l’homme d’affaires envisagerait aussi de céder le contrôle d’Hadrena, qui compte 150 centres de loisirs en Europe et aux Etats-Unis, dont Fort Boyard Adventures ou Speedpark. Récemment, plusieurs partenaires de Pierre-Edouard Stérin lui ont confié leur malaise face à la publicité qui entoure ses engagements. « Le mélange des genres, politique et business, ça ne fonctionne pas », lui a glissé un interlocuteur régulier. Des critiques balayées par l’intéressé : « Je ne regrette rien, et je vais accélérer tout ce que j’ai lancé, car il faut savoir qui on est, et ce que l’on veut »,nous lance-t-il, bravache. Quitte à y laisser quelques plumes.
Merci pour l’article, et en particulier le texte associé ! Pour aller plus loin, j’ai écouté hier le segment de La Fabrique de l’information sur France Culture dédié à Stérin et… ce monsieur est dérangeant. Et je pèse mes mots. 😐
En voici le lien pour le “podcaster” : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-information/pierre-edouard-sterin-le-milliardaire-a-l-assaut-de-l-opinion-publique-5472072
Merci pour le partage