Dans le Système Totalitaire, Arendt résume la différence entre dictature et totalitarisme à l’idée que la dictature est une société où l’armée a pris le pouvoir alors que le totalitarisme est une société où la police a pris la pouvoir.
Elle parle plus particulièrement de la police secrète, celle qui surveille les opposants politiques, les mouvements sociaux, qui envoie des agitateurs et infiltre des agents dans les mouvements. Ce qu’elle appelle la provocation.
Ils ne participent pas aux débats au sein du parti, ils vivent en vase clos (les SS étaient notamment soumis à des règles sur le mariage). Ils rendent des comptes directement au chef et appliquent ses ordres changeants. Ce sont les seuls qui savent vraiment ce qui se passe.
Ce passage me semble particulièrement intéressant :
En ce sens, les agents de la police secrète sont la seule classe ouvertement dirigeante des pays totalitaires ; leurs critères et leur échelle de valeurs imprègnent toute la texture de la société totalitaire.
De ce point de vue, il n’est guère surprenant que certaines qualités particulières de la police secrète soient, plutôt que des particularités de la police secrète totalitaire, des qualités générales de la société totalitaire. Dans des conditions totalitaires, la catégorie de suspect englobe la population entière : toute pensée qui dévie de la ligne officiellement prescrite, et sans cesse changeante, est déjà suspecte, quel que soit le champ d’activité où elle se manifeste. Du seul fait qu’ils sont capables de penser, les êtres humains sont suspects par définition, et une conduite exemplaire ne met jamais à l’abri du soupçon car la capacité humaine de penser est aussi de de changer d’avis. En outre, puisqu’ il est impossible de connaître avec une absolue certitude le cœur d’un autre homme la torture n’est dans ce contexte que la tentative désespérée, éternellement vaine, d’atteindre ce qui ne peut l’être , le soupçon ne peut plus être dissipé dès lors que ni une communauté de valeurs, ni les comportements prévisibles de l’intérêt personnel n’existent en tant que réalités sociales (distinctes des réalités purement psychologiques).
Ainsi, la défiance mutuelle imprègne toutes les relations sociales des pays totalitaires et engendre un climat qui règne partout, même en dehors du domaine réservé de la police secrète.
J’ai le sentiment que la société américaine est particulièrement marquée par ce climat de défiance. C’est une chose qui avance à grands pas chez nous avec les médias bolloré notamment où la désignation de boucs émissaires, la confusion entre le fantasme et la réalité avec notamment la menace woke, rejoint le racisme institutionnel de la police et la concentration de ses efforts sur les mouvements contestataires et “progressiste”.
Les moyens de surveillance sont aujourd’hui bien plus avancés qu’ils ne l’étaient il y a 90 ans. Les intermédiaires techniques doivent donner des informations aux différentes polices qui disposent de moyens considérables pour connaître les réseaux de relation, retrouver des individus. Et avec l’avènement des IA qui jouent de plus en plus le rôle de conseiller, confident, amant, la “connaissance absolue du coeur d’un autre homme” est accessible, ainsi qu’un raffinement inédit dans la façon de le manipuler.


Les donnés récoltés par les GAFAM incluent depuis longtemps les opinions et discutions (facebook) mais aussi les questionnements aussi variés que tu le décris (google). En tout cas si on parle uniquement des chatbot par LLM quand on dit “IA”, je ne pense pas qu’il y ai d’accélération significative de la surveillance : la théorie de l’internet morte ne date pas d’hier, la surveillance généralisé (et le chemin qu’elle trace au totalitarisme) progresse régulièrement depuis un moment déjà.