« La sécurité de la Suisse 2025 »: la confrontation mondiale a des répercussions directes sur la Suisse
Quand les agents secrets suisses tirent la sonnette d’alarme
DÉCLASSIFIÉ. Derrière une façade de neutralité, 440 agents du renseignement suisse surveillent les grandes puissances, les réseaux terroristes et les cybermenaces, afin de protéger le modèle helvétique.
Par Romain Gubert Publié le 05/09/2025 à 17h00
S’abonner sans engagement Plusieurs événements sont particulièrement surveillés par les « espions suisses », comme le WEF (World Economic Forum, le forum de Davos qui rassemble grands patrons et responsables politiques du monde entier). Plusieurs événements sont particulièrement surveillés par les « espions suisses », comme le WEF (World Economic Forum, le forum de Davos qui rassemble grands patrons et responsables politiques du monde entier). © CHINE NOUVELLE/SIPA / SIPA / CHINE NOUVELLE/SIPA
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Si le sujet n’était pas sérieux – on parle tout de même de terrorisme, de guerre en Ukraine, de cyberattaques, etc. –, on pourrait presque sourire. Et se moquer gentiment de nos voisins suisses sur le mode, « pour des gens qui aiment le secret, les Suisses sont tout de même étonnamment transparents… ». Et en effet : le document diffusé par le service de renseignement de la Confédération que Le Point a analysé en détail (et que l’on peut trouver ici) est un modèle du genre. Il permet de revisiter les clichés sur la Suisse et leur supposé amour du secret (notamment bancaire): leurs espions racontent en réalité beaucoup de choses à leurs concitoyens.
Rapport:
https://www.vbs.admin.ch/fr/src-securite-de-la-suisse-2025
Dans ce document, on découvre que les 440 « agents secrets suisses » du service de renseignement helvète disposent, pour assurer leur mission, d’un budget annuel supérieur à 110 millions de francs suisses (117 millions d’euros), ce qui est tout à fait conséquent par rapport à la taille du pays (à titre de comparaison, le budget de la DGSE – 7 500 agents – atteint 1 milliard d’euros, celui de la DGSI tourne autour de 200 millions). À LIRE AUSSI Les espions suisses, ces horribles machos
On apprend encore que les services secrets suisses sont l’un des tout premiers organismes fédéraux à avoir reçu un label qui célèbre ses « efforts en matière de politique familiale ». Ou encore, plus amusant, que ses agents – à 60 % masculins – sont amenés à voyager fréquemment « dans le monde entier »… Davos, Genève et les grandes conférences sous surveillance
On retiendra (sans surprise) que plusieurs événements sont particulièrement surveillés par les « espions suisses », comme le WEF (World Economic Forum, le forum de Davos, qui rassemble grands patrons et responsables politiques du monde entier) ou encore les sommets internationaux plus ou moins informels (pour tenter de trouver une issue à la guerre en Ukraine, favoriser la transition en Syrie, etc.).
La localisation en Suisse des sièges de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ou de divisions importantes de l’ONU constitue aussi « un hub », particulièrement surveillé par les services suisses. Genève est ainsi un « nid d’espions », confirment les espions de la confédération qui notent : « En Suisse, les services de renseignement russes et chinois vont continuer à mener des opérations dirigées contre des États occidentaux, y compris des activités et des préparatifs dans le cadre de la guerre hybride. Le risque que la Suisse soit utilisée pour préparer ou commettre des enlèvements, des actes de sabotage et des attentats à l’étranger augmente […] Il ne faut pas non plus s’attendre à ce que les activités d’espionnage de divers services de renseignement à l’encontre de leurs diasporas diminuent. Ces activités se focalisent sur les journalistes en exil et les personnes qui s’opposent au pouvoir politique dans leurs pays d’origine, ce qui leur confère de l’influence. »
À LIRE AUSSI La Suisse sonnée et apeurée après la gifle douanière de TrumpLa Suisse est aussi le terrain de jeu favori des espions du monde entier. « En matière d’espionnage, notent les espions de la Confédération, les services de renseignement des grandes puissances continuent de mener le jeu. Ils disposent d’immenses moyens humains, financiers et techniques. En Europe, la principale menace émane des services russes et chinois […] qui jouent également un rôle de premier plan dans le cadre d’autres activités, comme la répression transnationale, l’acquisition de biens, la propagande, les activités d’influence et, particulièrement dans le cas de la Russie, le sabotage et les assassinats ciblés, tant sur leur territoire national qu’à l’étranger […] La Suisse reste une zone d’opération privilégiée pour l’espionnage et d’autres activités de renseignement. »
Enfin, la Suisse est évidemment un partenaire majeur des agences étrangères. La confédération collabore avec les pays membres de la zone Schengen (elle en est membre). Bien que neutre, la Suisse échange aussi avec l’ensemble des services « amis » (ils ne sont pas nommés). Ces derniers ont demandé 14 472 renseignements sur un an… Quant à la Suisse, elle a demandé à ses « partenaires » (ils sont au nombre de 100) 3 600 informations sur des sujets la concernant. Enfin, au détour de quelques phrases du rapport, on apprend que les espions suisses ont transmis aux plus hautes autorités de la Confédération 31 rapports détaillés sur le terrorisme et 7 sur des dossiers « espionnage »… Enfin, sur 4 557 demandes d’accréditations de diplomates, la Suisse en a rejeté… 30. Neutralité suisse : un modèle sous pression
Mais le document ne se contente pas de diffuser des chiffres. Paraphé par Martin Pfister, conseiller fédéral et patron de l’un des sept départements de l’administration helvète qui coiffe la défense et « la protection de la population » (c’est une sorte de « super-ministre »), le document évoque l’ensemble des menaces auxquelles la Suisse doit faire face pour protéger son modèle. Et dresse ce constat : depuis quelques années, la Suisse, malgré sa neutralité, n’est pas à l’abri. À LIRE AUSSI De potentiels frais de douane sur l’or inquiètent la Suisse
Elle a « subi une très sérieuse dégradation sur le plan de la politique de sécurité. Cette évolution n’est pas un phénomène passager. C’est une tendance durable qui place notre pays devant des défis sécuritaires, politiques et sociaux », prévient Pfister pour qui « l’environnement politico-sécuritaire de la Suisse pourrait ainsi offrir une protection réduite à l’avenir ».
Le service de renseignement de la confédération évoque en détail et longuement la situation internationale. Guerre en Ukraine, stratégie chinoise, incertitudes aux États-Unis, etc. Mais si la Suisse est évidemment un acteur incontournable sur la scène internationale de par sa position de place financière d’envergure mondiale et sa neutralité, elle est aussi directement exposée. Terrorisme, exportations et cyberattaques : les nouvelles menaces
Premier risque : la menace terroriste. « Elle est élevée, disent les espions suisses qui notent que “les intérêts juifs et israéliens sont particulièrement exposés”. »
À Découvrir Le Kangourou du jour Répondre Autre risque important : la Suisse est utilisée comme plateforme par la Russie ou la Chine. En clair, l’industrie suisse fournit, sans forcément le savoir, l’armée russe. Elle dispose de rapports intenses avec certains pays « amis » de la Russie qui peuvent jouer le rôle d’intermédiaires. Or, explique le rapport « il est pratiquement impossible, pour les autorités suisses, de suivre les biens qui ont été produits par une machine-outil suisse […] Le SRC examine les chaînes d’approvisionnement de biens ne figurant pas sur les listes afin d’empêcher les transferts à grande échelle vers la Russie. Il sensibilise également les entreprises qui fabriquent en Suisse et au Liechtenstein des produits dont la Russie a besoin et qui se trouvent donc exposées aux tentatives d’acquisition ».
À LIRE AUSSI Pourquoi les hôpitaux français restent les cibles privilégiées des cybercriminels Reste les cyberattaques. « Elles constituent, affirme le rapport, une menace significative pour les exploitants d’infrastructures critiques en Suisse. La guerre contre l’Ukraine reste un facteur d’influence déterminant dans ce contexte : les cyberacteurs étatiques russes poursuivent souvent les intérêts stratégiques de la Russie dans le cadre de cette guerre. […] La Suisse est également prise pour cible par des acteurs étatiques iraniens et nord-coréens […] Ils exploitent par ailleurs des éléments d’infrastructure en Suisse, comme des serveurs, pour mener des activités de cyberespionnage ou des cyberopérations offensives dirigées contre des objectifs pertinents en matière de politique de sécurité dans des États tiers. Ces actions font peser un risque de réputation sur la Suisse, lequel peut également entraîner des coûts au niveau politique. »