Le 21 février dernier, 80 ans jour pour jour après sa exécution, Missak Manouchian entrait au Panthéon accompagné de son épouse Mélinée. De beaux discours furent prononcés pour rendre hommage et saluer le résistant arménien « mort pour la France »… et notamment par ceux-là même qui votaient une énième loi immigration qui fut saluée par les descendant·es politiques des assassins des Manouchian et de ses autres camarades de l’Affiche rouge.

Un voile pudique a cependant été posé sur le parcours du militant communiste Manouchian et sur l’importance dans la résistance de ces militant·es communistes de langue étrangère organisé·es avant la guerre dans la Main-d’œuvre étrangère, qui devient par la suite MOI, la Main-d’œuvre immigrée au sein de la Confédération générale du travail unitaire (CGTU) et du Parti communiste. C’est cet oubli que vient réparer l’ouvrage dense et richement documenté de Dimitri Manessis et Jean Vigneux, déjà co-auteurs chez Libertalia en 2022 de l’excellent Rino Della Negra, footballeur et partisan.

De la création des groupes de langue au sein de la CGTU à la résistance armée qui donnera naissance aux FTP-MOI, en passant par l’engagement dans les Brigades internationales et jusqu’à la fin de la MOI dans les années 1952-1953, les auteurs retracent, dans ce qu’ils présentent comme une première synthèse, l’histoire sinueuse de ces militants et militantes, même si ces dernières sont victimes d’une « (double) invisibilisation ». Si la mémoire communiste a su dès le début des années 1950 mettre en avant ces militant·es résistant·es de la FTP-MOI, « frères » et « sœurs » en humanité comme ont dit alors dans le discours communiste, l’histoire des rapports entre ces groupes organisés selon la langue (plutôt que la nationalité) : Italiens, Juifs, Arméniens, etc., fut plus compliquée et parfois réellement conflictuelle.

L’ouvrage, en redonnant corps aux combats de la MOI au-delà de la seule évocation de l’Affiche rouge, replace ces militant·es dans une histoire des luttes ouvrières où se mêlent luttes sociales, xénophobie, internationalisme et mémoires militantes, leur rend un hommage autrement plus sincère que les « honneurs de la République ».

David (UCL Savoies)

Jean Vigreux, Dimitri Manessis, Avec tous tes frères étrangers. De la MOE aux FTP-MOI, Libertalia, février 2024, 270 pages, 10 euros.