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    6 months ago

    Fin de vie : à gauche, les opposants au texte tentent d’avoir une voix

    Charlotte Belaïch

    Très minoritaires dans leurs familles respectives, les «cathos de gauche» veulent faire valoir des arguments «de gauche» pour s’opposer au projet de loi qui arrive dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale ce lundi 27 mai.

    La salle Lamartine est clairsemée ce mardi d’avril. Organisée par quelques élus, la réunion «La fin de vie et la gauche, entre certitudes et malentendus, députés de gauche, prenons le temps d’en parler», a attiré quelques curieux venus écouter les spécialistes invités, médecin, philosophe ou psychologue, tous opposés au projet défendu par le président de la République. En faveur du texte, l’insoumis François Ruffin, l’écolo Sandrine Rousseau ou encore le socialiste Boris Vallaud sont tout de même passés voir ce qu’on a renommé «la réunion de la gauche des contre». «C’est un sujet compliqué sur le plan éthique, explique le patron des députés PS. Je veux entendre les doutes et les questionnements. Il n’y a pas le camp du bien et le camp du mal et je n’aime pas partir sur des sujets compliqués avec des certitudes.» Mais dans la salle, plusieurs élus s’agacent du ton moralisateur des intervenants. «On a le droit de ne pas être d’accord, mais ce que j’ai entendu était sans aucune nuance», regrette Rousseau, très impliquée personnellement sur ce sujet.

    L’écrasante majorité de la gauche votera pour le projet de loi au menu des députés en séance ces deux prochaines semaines et qui prévoit d’ouvrir une «aide à mourir» pour certains patients. «En 1999, le premier texte examiné au Sénat sur le droit à mourir est cosigné par Jean-Luc Mélenchon, c’est structurant pour nous», raconte le député La France insoumise Hadrien Clouet. Ecolos, socialistes et communistes devraient aussi largement voter pour. Mais quelques élus de gauche sont, sinon opposés au texte, du moins réticents. «J’ai bien conscience d’être à contre-courant», raconte le communiste Pierre Darrhéville, qui a coorganisé la réunion salle Lamartine avec une poignée de députés. En première ligne contre le projet de loi, le député PCF des Bouches-du-Rhône tente de faire entendre la voix des contre avec ses collègues communistes Soumya Bourouaha et André Chassaigne, les socialistes Dominique Potier et Cécile Untermaier ou encore l’écolo Lisa Belluco.

    «Basculement éthique»

    Au Sénat, Patrick Kanner, le patron du groupe socialiste, envisage «deux ou trois clauses de conscience» chez les siens. «Je sens bien qu’on veut nous faire croire que c’est une idée de gauche, mais je ne vois pas en quoi», explique Darrhéville qui, comme tous les contre, pointe l’état des soins palliatifs en France. Selon la société française d’accompagnement et de soins palliatifs, seuls 30 % des patients qui en auraient besoin y ont accès, par manque de structures spécialisées et de soignants. «On meurt mal dans notre pays, on souffre, s’indigne l’élu de Martigues. Aujourd’hui, c’est plus facile d’avoir accès à des produits létaux qu’à des centres antidouleurs. Or, quand les personnes sont prises en charge, ça change la donne. Quel message envoie-t-on ? La société doit dire à quelqu’un qui veut en finir “on tient à toi, on va t’accompagner”. Evoquant un «basculement éthique», il interroge : «à partir de quel moment une vie ne vaut plus la peine d’être vécue ? Comment peut-on répondre à cette question dans une société de la performance et de la productivité ?»

    Comme toute la gauche, Sandrine Rousseau demande un droit aux soins palliatifs. L’écolo va défendre un amendement en ce sens «pour que l’aide à mourir n’intervienne pas à défaut d’autres solutions, sinon on a un problème éthique majeur». Elle regrette cependant la lecture de ceux qui s’y opposent : «c’est presque perçu comme un assassinat alors que le sujet, c’est la souffrance». Son collègue communiste Sébastien Jumel admet de son côté «changer de curseur», en discutant avec Pierre Darrhéville. «A partir de quand une vie n’est plus considérée comme digne d’être vécue ?, s’interroge-t-il sans se prononcer contre le texte. Dans une société confrontée au vieillissement, avec des problèmes d’Ehpad, à partir de quand devient-on une charge pour ses enfants ou pour la société ? Un patient pour lequel il n’y a plus rien à faire, ça coûte cher.»

    «Les interdits protègent la vulnérabilité»

    Le député socialiste Dominique Potier, «carrément contre», parle de «deux humanismes qui s’affrontent». «La sagesse des sociétés sur l’interdit de donner la mort trouve son accomplissement dans l’abolition de la peine de mort. Avec cette loi, c’est une digue qui tombe qui peut donner lieu à des dérives», dit-il. Lui aussi pointe le risque de considérations «économiques» et «gestionnaires» dans une société libérale. «On entretient la fiction du libre arbitre, estime-t-il. Partout où le droit à mourir est en vigueur, il y a une prévalence des milieux défavorisés. Mon étonnement, c’est l’enthousiasme de la gauche à cet égard. Si le progressisme, c’est ça, je veux bien être conservateur.»

    Les «contres» convoquent ainsi une idée essentielle à gauche, résumée par la maxime du prédicateur catholique Jean-Baptiste-Henri Lacordaire, selon laquelle, «entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit». «Comme en matière sociale, la loi et les interdits protègent la vulnérabilité, estime Darrhéville. La liberté est une fiction quand on est le plus fragile. On est conditionné par l’idée qu’on coûte cher à la Sécu, qu’on est un poids pour les siens…»

    Souvent des «cathos de gauche»

    Une rhétorique qui agace les «pour». «Ce n’est pas vrai qu’on ouvre la porte aux gens qui ne peuvent pas payer leur maison de retraite, estime une socialiste. C’est ce qu’on appelle la porte fatale en science, comme si la recherche sur les embryons allait forcément déboucher sur le clonage par exemple.» Dans ce camp, certains notent que les opposants au texte sont souvent des «cathos de gauche». Pierre Darrhéville, par exemple, est un ancien de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). «Mon histoire est connue mais je ne m’arrête pas là en tant que responsable politique, assure-t-il. C’est une manière de nous discréditer. Est-ce que la société peut s’autoriser à donner la mort ? Ce n’est pas une question de transcendance mais une réflexion politique. Je sens que ça gêne à gauche mais ce sont des interrogations qui méritent d’exister.» Dominique Potier, qui s’inscrit dans le christianisme social, assume lui aussi cet héritage mais regrette qu’on renvoie le débat au religieux «pour éviter une controverse philosophique vitale à gauche». Au-delà du projet de loi sur la fin de vie, il estime que le «progressisme qui se nourrit uniquement de la conquête des droits individuels est une impasse individualiste dont la gauche crève. C’est important de le dire, même si c’est minoritaire.»