En 2020, l’Agence française pour la biodiversité et l’Office français de la chasse et de la faune sauvage ont fusionné, donnant naissance à l’OFB.

Il s’agit d’une “police verte” qui fait appliquer les plans stratégiques en discutant avec les acteurs et publics de tous genres (agriculteurs, chasseurs, collectivités, associations, grand public). Leur mission a 3 grands piliers :

  • Veille des espaces & espèces protégées
  • Régulation de la chasse
  • Police de l’eau

En Isère, dans les bottes de la police de l’eau

Dans le département de l’Isère, une vingtaine d’agents sont chargés de réaliser les contrôles pendant les périodes de sécheresse. Arme à la ceinture, mais en privilégiant la prévention à la verbalisation.

Maïté Darnault et Mathieu Périsse (WeReport)

17 août 2022 à 12h23

DépartementDépartement de l’Isère.– C’est l’heure du déjeuner, les greens verdoyants sont progressivement désertés. Les golfeurs à la mise soignée migrent du parcours neuf trous au restaurant des lieux. Trois hommes en uniforme gris se présentent à l’accueil du golf. Hugues Chappellet, Jérôme Delorme et Sébastien Mollet sont des agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), la police de l’environnement.

Ils s’enquièrent du responsable technique pour vérifier que l’arrosage du terrain respecte bien les règles en vigueur. L’employé, d’abord peu à l’aise face à ses interlocuteurs en armes, finit par se détendre en détaillant les cycles d’irrigation. « De toute façon, si on met trop d’eau, ça fait pousser un champignon qui bouffe le gazon », souffle-t-il. En cette fin juin, tout est fait dans les clous dans ce golf, alors les inspecteurs de l’eau quittent les lieux.

Un mois et demi plus tard, à la mi-août, la situation météorologique est toujours alarmante en Isère, comme dans la totalité des départements de France métropolitaine. La pluie tant attendue depuis janvier n’est toujours pas arrivée et les quelques orages du début de l’été et des jours derniers n’ont pas suffi à soulager les sols. Dès le 18 mai, la préfecture du département a lancé sa première alerte sécheresse, plaçant un certain nombre de bassins versants en niveau 2 (sur 4). Le 16 juin, c’est l’intégralité de l’Isère qui a basculé au même cran, avant que le niveau 3 ne soit déclenché le 7 juillet pour les territoires de montagne. Illustration 1 Les agents de l’Office français de la biodiversité de l’Isère contrôlent un golf et questionnent un employé sur l’usage de l’eau, le 30 juin 2022. © Photo Pablo Chignard pour Mediapart

Le 22 juillet, le préfet a de nouveau renforcé les restrictions : tout le sud isérois a été placé en situation de crise, le quatrième et dernier niveau d’alerte, tandis que le nord est passé au niveau 3, hormis deux enclaves restées au niveau 2.

Qui dit alerte, simple ou renforcée, voire crise, dit restrictions : elles concernent les particuliers, l’agriculture, l’industrie et l’artisanat, les collectivités, les gestionnaires de réseau d’eau potable et les fabricants de neige de culture – car c’est en été que sont rechargés leurs réservoirs, les retenues collinaires. L’objectif de ces limitations collectives est d’économiser la ressource autant que possible et de limiter les conflits d’usage.

Avant de se rendre au golf, les agents de l’OFB ont sillonné des communes du Nord-Isère, faisant plusieurs haltes devant les stades municipaux, qui n’ont pas le droit d’arroser leur pelouse en journée lorsque le niveau 2 d’alerte sécheresse a été décrété.

Aucune infraction n’est à signaler ce jour-là. S’ils tiennent à afficher le fait qu’ils ne contrôlent pas que les agriculteurs et agricultrices, les agents ont consacré l’autre partie de la matinée à passer en revue des points de captage situés en bordure de champs cultivés. La base de données qui les répertorie indique les plages horaires auxquelles chaque exploitant·e peut ou non irriguer ses cultures. Ils sont environ 1 500, en Isère, à puiser de quelques mètres cubes d’eau à plusieurs centaines par heure, en eaux souterraines ou en eaux superficielles.

« On sait que c’est un boulot énorme pour un agriculteur de faire un tour d’eau [l’arrosage de ses parcelles — ndlr], s’il peut éviter, il ne tournera pas, souligne l’agent Jérôme Delorme. Quand on est en alerte sécheresse, on attend quelques jours après l’arrêté préfectoral pour faire des contrôles, pour être sûrs que tout le monde a bien été informé. » L’Association des irrigants de l’Isère a récemment proposé à l’OFB de remplacer les créneaux de tours d’eau, que le vent persistant rend parfois absurdes, par une baisse globale des volumes prélevés. « Ils veulent être responsabilisés, on est d’accord sur le principe tant que ça reste contrôlable », considère Sébastien Mollet, chef du service départemental de l’OFB. « L’infraction, un constat d’échec »

Sur le terrain, d’autres obligations, comme la présence d’un compteur ou l’identification de la pompe sont plus difficiles à vérifier. Les agriculteurs et agricultrices peuvent utiliser des pompes mobiles, déplacées en fonction de leurs besoins. Et celles qui restent à poste sont le plus souvent installées dans des cabanes en moellons cadenassées, loin des regards inopportuns.

Entre le 16 juin et le 16 août, les inspecteurs de l’OFB ont dressé en Isère sept procès-verbaux à des agriculteurs pour des contraventions de 5e classe (dont l’amende peut s’élever jusqu’à 1 500 euros) et lancé quatorze procédures administratives (des mises en demeure pour non-conformité) dues par exemple au non-respect d’un tour d’eau, à l’absence de compteur ou au défaut d’identification d’une pompe. Illustration 2 Hugues Chappellet observe aux jumelles la serre d’un maraîcher pour vérifier qu’il n’arrose pas à cette heure-là. © Photo Pablo Chignard pour Mediapart

Avant cela, le dernier PV agricole dans un contexte de sécheresse remontait à 2018 dans le département. « L’infraction, c’est clairement un constat d’échec », rappelle l’agent Hugues Chappellet. Cette approche conciliante n’est pas propre à l’Isère. Dans le département du Rhône voisin, les services de l’État ont effectué cent quarante-quatre contrôles en lien avec les restrictions sécheresse en 2020. Plus de la moitié des sites inspectés étaient en conformité, trente-trois ont donné lieu à des avertissements et un seul a fait l’objet d’un procès-verbal, selon les chiffres de la préfecture.

« Les contrôles ne sont pas une fin en soi, mais un moyen, un des rouages pour mettre en place la protection de l’environnement », abonde Clémentine Bligny, cheffe du service environnement à la Direction départementale des territoires (DDT) de l’Isère. Ce service est le principal partenaire de l’OFB chargé d’appliquer sur le terrain le nouvel arrêté-cadre dit « sécheresse » signé le 18 mai 2022 par le préfet du département. Ce document, qui n’avait pas été renouvelé depuis mai 2018, sert de base à l’articulation entre police administrative et police judiciaire, à la coopération entre l’OFB, la DDT et le parquet de Grenoble. Une vingtaine de journées de contrôle sécheresse par an

Placé sous la cotutelle des ministères de la transition écologique et de l’agriculture, l’OFB est né en 2020 de la fusion de l’Agence française pour la biodiversité et de l’Office français de la chasse et de la faune sauvage. Ce mariage – plus de raison que de passion – n’a pas permis d’éclipser le vieillissement et l’érosion des effectifs qui touchent ces deux maisons depuis une dizaine d’années.

Ces flics « verts » demeurent à la fois des vigies et les premiers au contact des acteurs et des publics – agriculteurs et chasseurs, collectivités, associations environnementales et usagers – pour tenter de faire appliquer les plans stratégiques décrétés en haut lieu.

Leurs missions se partagent grosso modo en trois parts égales : la veille des espaces et des espèces protégées, la régulation de la chasse et la police de l’eau. Au sein de cette dernière tâche, l’enjeu de la sécheresse reste une goutte dans un lac de responsabilités qui n’ont cessé de se multiplier à la suite de la fusion de 2020 et de l’affichage politique croissant sur les enjeux environnementaux.

En Isère, les agents de l’OFB effectuent en moyenne une vingtaine de journées de contrôle quantitatif de l’eau par an. « On fait d’abord de la communication auprès des irrigants, des collectivités et des particuliers, indique Sébastien Mollet. On est avant tout une police de contact, d’explication, de prévention. »

Aucun des trois agents qu’a suivis Mediapart n’a jamais fait usage de son Glock, le même pistolet semi-automatique qui équipe la police nationale. « Historiquement, les agents de l’office de la chasse ont toujours été armés face aux chasseurs, et les directives actuelles sont claires : on a l’obligation de ne pas être seul et d’être armé quand on fait des missions de police, explique Sébastien Mollet. Parfois, c’est très pratique de l’être mais d’autres fois, ça peut être contre-productif. Car on n’est pas que la police, on est aussi un appui aux politiques publiques, aux collectivités, et être en arme, ça peut parfois créer un frein. »

Malgré cet oripeau coercitif, les agents cherchent surtout à être efficaces, en prenant en compte les contraintes du terrain. Salinomètre et « débit réservé »

La tournée du trio se poursuit l’après-midi par la surveillance d’un « débit réservé ». Dans un vallon, la Fure coule paisiblement le long d’un sentier de promenade. Le bassin versant de cette rivière a pourtant été placé en alerte sécheresse depuis le 18 mai. Son cours est ponctué de petites centrales hydroélectriques exploitées par des propriétaires privés. L’énergie qu’elles produisent est revendue à EDF ou, plus rarement, alimente le marché de gros de l’électricité. Illustration 3 Jérôme Delorme et Hugues Chappellet évaluent à vue d’œil le débit de la rivière la Fure sur une prise d’eau, le 30 juin 2022. © Photo Pablo Chignard pour Mediapart

Ce business lucratif reste soumis à l’obligation de maintenir un flux minimal d’eau garantissant le fonctionnement des écosystèmes et la pérennité des espèces aquatiques ou dépendantes de l’eau. Les barrages doivent ainsi être équipés de passes à poissons. Enfin, chaque centrale est tenue d’afficher publiquement son débit réservé, calculé en litres par seconde.

C’est la première information que vérifient les agents de l’OFB au bord de la Fure. Le courant qu’ils jaugent à vue d’œil leur semble inférieur à ce qu’indique le panneau de la petite centrale. Pour le mesurer, ils ont recours à un salinomètre. Jérôme Delorme dilue dans une bassine d’eau le contenu d’un gros sachet de sel fin de cuisine.

Reste à installer le capteur au bon endroit dans le cours d’eau : « Ce n’est pas simple de trouver un tronçon représentatif et mesurable, et à la fois pas loin de la source », résume Sébastien Mollet, bottes enfoncées dans l’eau, avant de déverser le sachet en amont du salinomètre. Au bout de quelques minutes, la machine livre son verdict : le débit réservé est en effet plus faible qu’autorisé. Mais un deuxième test affiche un écart trop important pour rendre le contrôle probant : les agents de l’OFB devront revenir munis d’un autre instrument, un courantomètre. Un parquet spécialisé… sans moyens supplémentaires

Avec seulement vingt et un agents répartis au sein de deux unités, implantées dans le nord et dans le sud du département, l’OFB de l’Isère est pourtant l’un des mieux dotés du pays. Par ailleurs, un seul agent est actuellement en charge à la DDT de la problématique de la sécheresse pour un territoire qui compte 1,2 million d’habitants. Illustration 4 Sébastien Mollet et Jérôme Delorme préparent le programme de contrôle de l’après-midi du 30 juin 2022. © Photo Pablo Chignard pour Mediapart

En mars 2021, le parquet de Grenoble est devenu l’un des trente-six pôles régionaux spécialisés en matière d’atteinte à l’environnement. Cette charge supplémentaire ne s’est accompagnée d’aucune rallonge en personnel. Tout repose donc sur la bonne volonté des différents acteurs.

Le 24 juin dernier, François Touret de Coucy, le procureur adjoint en charge de l’environnement au tribunal judiciaire de Grenoble, Clémentine Bligny de la DDT et Sébastien Mollet de l’OFB sont convenus de plusieurs mesures pour simplifier leurs procédures communes.

En théorie, il est possible de trouver des outils et des solutions « pour faire travailler les gens ensemble et moins crisper les irrigants, dont certains sont en difficulté », souligne Clémentine Bligny. En pratique, les moyens alloués par l’État à la police de l’eau restent dramatiquement faibles. « À en croire la volonté politique affichée, l’eau est tout le temps une priorité, observe une source judiciaire. En vrai, on s’en inquiète surtout quand elle commence à manquer. »

  • @Camus
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    Français
    29 months ago

    Intéressant cette initiative