Jérôme Jimenez, porte-parole de l’Unsa Police, était jugé pour des violences physiques et psychologiques sur son ex-conjointe et son fils de 8 ans. Il nie les faits. Mardi, la procureure de République a requis un stage de parentalité.
C’est le 8 mars 2023, journée de lutte pour les droits des femmes, qu’elle a décidé de déposer plainte. Ce jour-là, elle a vu son mari, porte-parole du syndicat Unsa Police en Île-de-France, s’exprimer à la télévision. « Pour moi, c’était inadmissible de l’entendre parler des violences faites aux femmes », affirme l’ex-conjointe du brigadier-chef Jérôme Jimenez à la barre. Celle-ci, également policière, écrit alors au procureur de la République pour dénoncer les violences physiques et psychologiques qu’elle aurait subies, avec ses deux enfants.
Dix mois plus tard, en ce 10 janvier 2024, dans une des salles austères aux murs en crépis gris du palais de justice de Créteil (Val-de-Marne), la présidente du tribunal énumère ce pourquoi cet officier de police judiciaire de 45 ans est mis en cause. Il lui est reproché d’avoir commis des violences sur sa conjointe ayant entraîné dix jours d’interruption totale de travail du 24 mars 2017 au 4 mai 2023, « en la menaçant avec un tournevis, en lui portant des coups de poing dans le dos, derrière la tête et sur le bras, en la poussant, en l’insultant, en lui tirant les cheveux, en la dénigrant ».
Le fonctionnaire est également mis en cause pour des violences sur son fils âgé de 8 ans « en lui tirant les cheveux, donnant une fessée, un coup de pied » en présence de sa sœur de 11 ans, du 1er novembre 2022 au 31 août 2023.
L’avocate du syndicaliste accusé, en retrait de ses fonctions depuis sa garde à vue, a demandé un huis clos pour éviter un « lynchage médiatique » et se prémunir contre des risques pour « l’intégrité physique des policiers ». Refus du tribunal. L’audience est publique.
« Si j’avais le malheur de critiquer la police, il me défonçait la tronche », a raconté durant ses auditions son ex-compagne. Treize ans de relation émaillés de brimades, selon elle : « Qui voudrait d’un gros tas comme toi », « dégueulasse », « imbaisable »… En arrêt de travail depuis février 2023, l’ex-épouse du policier fait également état de menaces : « Je ne sais pas ce qui me retient de te tuer. »
Durant ses deux auditions, l’ex-conjointe de Jérôme Jimenez a également affirmé s’être interposée pour protéger leur fils face notamment à « un coup de pied dans les fesses ».
Questionné par la présidente du tribunal, Jérôme Jimenez, vêtu d’une veste noire sur une chemise blanche, a nié la quasi-totalité des faits : « J’ai eu des relations extraconjugales et aujourd’hui on voudrait me faire passer pour un monstre alors que j’ai tout donné pour protéger ma famille. »
Au sujet de l’existence de violences, il s’irrite face à la juge Charlotte Phelizon : « C’est complètement ridicule », puisqu’ils avaient « construit ensemble un foyer » et que son épouse voulait « même un troisième enfant ». Le brigadier-chef évoque juste des « disputes ».
La présidente l’interroge sur un échange de SMS de 2023. Son ex-conjointe écrit : « Mais à l’époque, vu comme je t’aimais, j’ai tout accepté, tout supporter, tes coups, tes crises » ; et il répond : « Tu n’auras plus à me subir. »
« Pourquoi vous répondez cela ?, questionne la présidente. — Pour couper court. »
La juge renchérit : « Pourquoi vous ne lui dites pas que c’est n’importe quoi ? — Parce que j’ai 50 000 messages, j’étais harcelé. À partir de février 2023, quand j’ai reconnu les relations extraconjugales, elle refusait tout dialogue. »
« Je lui ai déjà mis quelques tapes sur les fesses »
À propos de son jeune fils – qui a affirmé en audition « Papa c’est des fessées dans la chambre » –, le policier se défend : « Il est turbulent, je l’ai déjà grondé, j’étais parfois très dur avec lui, mais je l’ai jamais frappé. » Puis, face à l’insistance de la juge, il reconnaît : « Je lui ai déjà mis quelques tapes sur les fesses, mais jamais de violences disproportionnées. » Il explique le cadre de ce qu’il considère être une « mesure éducative » : « C’est arrivé quand il n’a pas respecté le premier niveau de punition. »
Le policier sanglote quand il évoque ses enfants, sa « relation extraordinaire » avec sa fille – laquelle a dénoncé ses violences.
Questionné sur la « pression » ressentie par sa fille au sujet de son « sport-étude », il nie une fois de plus, puis précise : « Je lui ai trouvé un coach mental. […] elle fait un sport de compétition, on n’est plus en phase loisir, quand elle se ratait sportivement parlant, c’est arrivé que des fois je lui fasse la remarque : “Tu t’es pas donnée comme tu devais.” » Il précise qu’ayant lui-même été basketteur professionnel, il voulait « lui inculquer les valeurs du sport et de compétition ».
Mais la présidente Phelizon s’interroge : pourquoi, selon lui, son ex-compagne aurait-elle dénoncé des violences ? Il évoque ce que ses deux avocates nommeront « un complot » : « Son but, c’est d’obtenir la garde exclusive de mes enfants […] L’autre intérêt, c’est de me faire radier de la police nationale. »
Au tour de l’ex-épouse de Jérôme Jimenez de prendre la parole. On la distingue à peine sous sa doudoune ocre. Elle bute sur les mots, hésite parfois, mais ne varie pas. « Je me disais qu’il allait guérir. Cette violence, je me disais que c’était aussi son vécu, il avait eu une vie difficile. J’étais amoureuse, je ne voulais pas lui faire du mal. En tant que policier, la sanction, elle est multipliée. » Elle explique aussi avoir longtemps pensé réussir à protéger leur fils, puis, démunie, avoir pris la « décision de dire stop ».
Elle se « sent mieux » désormais, « depuis que Monsieur n’a plus le droit de communiquer avec [elle] [il a une interdiction de contact – ndlr], ça a été un grand soulagement ».
« Va falloir arrêter les mensonges », l’apostrophe dès sa première question l’avocate du policier. Sandrine Pégand lève la voix : « Comment cela se fait-il, alors que vous êtes policière, que vous n’ayez en treize ans jamais pris de photos de tous les bleus que vous ayez reçus ? — Parce que je ne voulais pas lui faire de mal. — Aujourd’hui, ça ne vous dérange pas ? — Aujourd’hui, c’est pour mes enfants. »
Un stage de responsabilité parentale réclamé par la procureure
Dans sa plaidoirie, l’avocate de la plaignante, Bérangère Lucas, réagit : « On vient vous dire pendant treize ans, elle aurait dû dénoncer, mais ce n’est pas facile d’aller se confier à des collègues, de franchir la porte d’un autre commissariat […] Madame a honte. Aujourd’hui, la maman entend protéger ses enfants. Même si on lui reproche que ce soit tardivement. »
Un membre de l’association Afepas (Famille enfance partage solidarité), constituée partie civile, prend également la parole : « Monsieur parle de tapes sur les fesses sur son garçon en les banalisant, nous pensons que les faits sont graves. »
Les deux avocates du policier ont demandé la relaxe. « À un moment donné, il faut arrêter avec la sacralisation de la femme prétendument victime de violences conjugales, le vraisemblable n’est pas forcément vrai », a indiqué Me Pégand, insistant sur le métier de son client. « Il n’est quand même pas assez fou pour aller frapper une femme alors qu’il connaît tous les risques. » Une « folie » qui guette 437 gendarmes et 473 policiers impliqués dans des violences conjugales depuis 2021, selon les chiffres communiqués à « Complément d’enquête » par le ministre de l’intérieur.
La procureure, elle, estime que les violences conjugales ne sont pas matérialisées : « Je ne suis pas certaine que vous ayez des éléments suffisants pour entrer en voie de condamnation. » En revanche, au sujet du fils : « Monsieur vous dit que son éducation est bienveillante, je ne suis pas d’accord avec ça. […] Il crie sur les enfants, il a reconnu les fessées. » Elle demande une peine minimale : un stage de responsabilité parentale. Décision le 14 février.