Damien Dole

L’entreprise ferroviaire révèle à «Libération» les très bons chiffres sur la ligne vers la Belgique ouverte depuis décembre, ainsi que celles vers Rennes et Nantes. Des résultats qui s’inscrivent dans la dynamique très positive des trains bleus et roses, pour lesquels le facteur prix est un levier essentiel.

SNCF Voyageurs parle d’un «plébiscite immédiat».Mi-décembre, l’entreprise ferroviaire lançait un Paris-Bruxelles en trois heures via Creil (Oise), Aulnoye-Aymeries (Nord) et Mons (en Belgique) contre une heure et vingt-deux minutes par l’Eurostar. Le prix d’appel ? 10 euros le trajet. Selon des chiffres que la SNCF révèle à Libération, le taux de remplissage moyen est de plus de 75 %, soit plus de 2 700 voyageurs par jour. Et le week-end, ce taux dépasse même les 80 %. Plus de 160 000 réservations ont par ailleurs été effectuées depuis le lancement de la ligne le 19 décembre. Les trains commencent donc déjà à sérieusement se remplir aussi pour les mois à venir. «Ce qui est remarquable, c’est la vitesse de la reconnaissance commerciale,se réjouit Alain Krakovitch, directeur de TGV-Intercités chez Voyages SNCF . En lançant ce train, on espérait que ce soit un vrai succès mais ce n’est pas fréquent qu’une nouvelle offre rencontre son public aussi vite. Elle est même en tête de nos lignes Ouigo Train Classique.» SNCF Voyageurs vise un million de voyageurs sur toute l’année 2025.

Lancée en 2022, l’offre Ouigo Train Classique propose deux autres lignes, de la capitale à Rennes et Nantes. Les taux de remplissage des lignes menant de Paris à Rennes ou Nantes dépassent de leur côté les 70 % et vont «assez régulièrement»au-delà des 80 % voire 90 % le week-end. De quoi «être rentable, sans que cela soit une rentabilité incroyable parce que nous pratiquons des prix très bas»,analyse Alain Krakovitch. Une conclusion que partage François Delétraz, président de la Fédération nationale des associations d’usagers (Fnaut) qui, consultant les chiffres de son association, confirme les bons résultats de la ligne Paris-Bruxelles. S’il parle «d’un vrai succès», il ajoute : «Les prix de l’Eurostar, anciennement Thalys, se sont envolés. S’ils étaient restés au niveau de ce qu’ils étaient avant, cette offre Ouigo entre Paris et Bruxelles n’aurait pas autant de succès.»

La raison principale de la réussite du Paris-Bruxelles en trois heures tient en effet aux prix, actuellement imbattables. Pour un aller-retour mi-mars, avec un retour un samedi, c’est 26 euros par le Ouigo lent contre 98 euros minimum en Eurostar et 19 euros avec un Flixbus (pour plus de quatre heures de trajet, moins confortable et plus polluant). De quoi permettre à la SNCF d’espérer remplir son cahier des charges. «L’objectif que nous nous sommes fixé avec ces Ouigo Train Classique, c’est d’aller chercher des personnes qui sont sur l’autoroute, en voiture particulière, en covoiturage ou dans des cars, en leur proposant une alternative ferroviaire, sans émission de carbone.» «C’est logique que le train l’emporte sur le car, au vu des aléas de la circulation routière ou du confort», complète François Delétraz.

«Equilibre économique difficile à trouver»

Ce retour à des trains plus lents et à des tarifs raisonnables n’a en revanche pas eu que des succès. La ligne Ouigo Train Classique Paris-Lyon, qui existait depuis avril 2022, a été supprimée en décembre 2024. Mais la concurrence est rude sur cet axe : les TGV Inoui côtoient des Frecciarossa de Trenitalia à 35 euros, des Ouigo à 16 euros et même des TER (paradoxalement plus cher). «Le problème du Ouigo Train Classique Paris-Lyon, c’est qu’il y avait énormément de travaux sur cette ligne et l’offre est déjà très importante»,confirme Alain Krakovitch.

Si la Fnaut ne trouve rien à redire aux prix bas pratiqués par la SNCF sur les Ouigo Train Classique, elle fustige en revanche les conditions de l’offre low-cost : conditions d’échange et de remboursement drastiques, pas de correspondances comprises dans le prix avec d’autres gares proches de Paris ou de Bruxelles, pas de première classe. «La SNCF isole ces lignes dans un concept marketing qui ne nous plaît pas et nous plaidons pour qu’elles soient intégrées dans la sphère SNCF globale»,lance François Delétraz. La SNCF affirme de son côté qu’en faire des Intercités n’aurait pas été possible car l’entreprise voulait sortir de «la logique,[qui prévalait] pendant des années, où le train classique n’était que du train conventionné, et donc financé par les collectivités et l’Etat»,dit Alain Krakovitch. Une nouvelle marque ? Trop onéreuse à financer et donc incompatible avec une offre à prix très réduits. «Cela nous a semblé naturel de nous rapprocher de la marque low-cost de la SNCF qui est Ouigo,considère Alain Krakovitch. C’est juste une extension de cette marque, qui n’était jusqu’à présent que de la grande vitesse.» Et sur les conditions inférieures ? «Les produits plus premium ne sont pas compatibles avec un ultra low-cost comme l’est Ouigo Train Classique, dans laquelle on sert tous les coûts, dit Alain Krakovitch. Nous avons un équilibre économique difficile à trouver, avec des prix aller de 10 à 49 euros et en moyenne en deçà de 20 euros.»

Nouvelles destinations

Plus largement, le succès des lignes Ouigo lentes s’inscrit dans celui, plus global, de la marque low-cost – ce qui n’a pas empêché l’ONG T & E de la brocarder dans son classement des opérateurs ferroviaires européens. SNCF Voyageurs annonce un taux de remplissage moyen sur toute son offre de plus de 90 % en 2024. De quoi permettre à Ouigo de rêver encore plus loin. L’an dernier, elle a annoncé à partir de 2026 vouloir augmenter de 30 % ses rames, ses destinations et ses parts de marché, et proposer d’ici 2027 8 millions de places en plus par an. «C’est une vraie révolution pour nous, analyse Alain Krakovitch. Nous constatons l’envie de trains des Français, et nous avons une réponse à donner en particulier à ceux qui ont des moyens plus limités avec Ouigo.»

Parmi les nouvelles destinations : Paris-Hendaye, Paris-Lille, et même des lignes transversales, sans pouvoir en dire plus pour l’instant. Sur Ouigo Train Classique, l’entreprise se donne encore un peu de temps pour faire grossir son offre, le problème principal venant du manque de matériel pour. «Mais on ne s’interdit pas d’aller ailleurs en France et à l’étranger avec cette offre»,précise Alain Krakovitch.

Preuve que le prix n’est pas la seule variable du retour en grâce du train, le succès du retour de la ligne Paris-Berlin, en décembre également , montre que les usages sont en train de changer. Si l’entreprise reste pour l’instant discrète sur les chiffres de fréquentation, elle la qualifie de «grand succès commercial» et affirme que 78 % des voyageurs vont de Paris ou de Strasbourg jusqu’à Berlin, et en grande majorité entre les deux capitales, alors que la grosse partie du trajet (six heures) est en Allemagne. La SNCF s’attendait pourtant à ce que plus de personnes voyagent entre deux arrêts de la ligne, sur une plus courte distance, et seulement 15 % entre Paris et Berlin. Des succès en pagaille qui permettent à la SNCF de voir les choses en grand : alors que 126 millions de personnes ont voyagé en TGV en France l’an dernier (+4 % par rapport à 2023 +14 % depuis 2019), l’entreprise vise 200 millions de clients en 2030 et 240 millions en 2034.

  • Capestan
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    3 days ago

    Ha bah c’est marrant je viens de prendre un billet justement.

    Si je dis pas de bêtise, niveau écologique on est dans le top du top : matériel (rames corail) qui ont largement amorti leur coût carbone de fabrication (elles sont plus vieilles que moi !), efficacité de la roue en métal sur rail métal, mix électrique bas carbone (sur la portion française au moins)…

    L’inconvénient c’est le freinage. Vu l’odeur parfois ça doit relâcher de la particule fine 😬