Dans la toute dernière ligne droite des négociations sur la prolongation du nucléaire, Engie veut des garanties en béton contre d’éventuels revirements politiques.

L’État belge et Electrabel auraient dû signer, le 31 octobre, la version finale de leur accord autour de la prolongation de Doel 4 et Tihange 3, qui traduit en documents de transaction contraignants les accords conclus en juin et juillet derniers. Un accord qui prévoit notamment un plafonnement de la responsabilité d’Engie sur la gestion des déchets nucléaires, ainsi qu’une garantie sur la rentabilité de l’investissement dans la prolongation. Mais les discussions se poursuivent, avec l’intention d’atterrir “dans les meilleurs délais”.

Le principal obstacle qui subsiste est qu’Electrabel et sa maison mère Engie veulent des garanties en béton contre un revirement politique de ce gouvernement ou d’un de ceux qui lui succédera, sous forme, par exemple, d’une nouvelle taxe nucléaire ou d’une réduction de la durée de vie des réacteurs prolongés. Le passé tumultueux entre les autorités belges et l’énergéticien français a laissé des traces. " “Il reste encore quelques points difficiles concernant le paquet de garanties prévu en échange de notre engagement.” "

Catherine MacGregor

CEO d’Engie

Des dédommagements en centaines de millions

Les accords déjà signés prévoient des dédommagements en cas de “force majeure politique”, de changement de la loi ou d’événement qui empêche temporairement ou définitivement la prolongation des deux réacteurs. Le mécanisme de rémunération, qui garantit la rentabilité de la prolongation à Electrabel, pourra alors être revu.

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Et si cela ne permet pas de compenser entièrement les pertes encourues par Electrabel, des indemnités seront dues. Des indemnités qui pourraient atteindre des centaines de millions d’euros, puisqu’elles garantissent à l’entreprise la récupération de l’intégralité de son investissement, plus un rendement annuel de 7% sur le capital investi. Des indemnités de résiliation s’y ajouteront s’il est mis fin aux garanties en matière de rémunération des deux réacteurs prolongés.

Changement législatif, fiscal ou décision judiciaire

Cela vaut en cas de changement fiscal ou législatif décidé par un gouvernement ou le Parlement au Fédéral, mais aussi dans les Régions, si le Fédéral a poussé à ce changement – sauf si les changements législatifs ou fiscaux relèvent de la transposition obligatoire d’une directive européenne ou d’une loi internationale. Cela vaut aussi en cas de décision de toute autorité publique, comme l’AFCN, le gendarme en matière de sûreté nucléaire, ou l’Ondraf, l’organisme public chargé de la gestion des déchets nucléaires, sauf si cette décision résulte d’une réponse à une urgence nucléaire ou une catastrophe.

Est également concernée toute décision judiciaire de n’importe quel tribunal ou organe judiciaire en Belgique qui affecterait les opérations des réacteurs nucléaires prolongés ou les conditions générales prévues dans l’accord entre l’État et Electrabel, si cette décision a été induite ou activement encouragée par le gouvernement fédéral ou le Parlement. Sont par contre exclus les changements qui résulteraient de manquements d’Engie ou de ses filiales.

Il est également prévu que la responsabilité de l’État sera engagée si l’étude d’impact environnementale s’avère déficiente, et que cela suspend ou annule la prolongation. " “Une loi peut être modifiée. Il faudrait presque que ce soit inscrit dans la Constitution.” "

Une personne impliquée dans le dossier

Une loi, à défaut de la Constitution

Engie veut que le principe de ces garanties soit inscrit dans la loi. La ministre de l’Énergie Tinne Van der Straeten (Groen) y est favorable: elle a annoncé au Parlement qu’il faudrait non seulement modifier la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire et celle de 2022 sur les provisions nucléaires, mais aussi faire voter une nouvelle loi, la loi “Phoenix” avant la dissolution de la Chambre, prévue le 8 mai prochain.

Mais même cette promesse ne semble pas tranquiliser suffisamment Engie. En coulisses, on explique qu’une inscription dans la loi ne dissipe pas tous les doutes. “Une loi peut être modifiée. Il faudrait presque que ce soit inscrit dans la Constitution”, entend-on. Engie voudrait, par exemple, pouvoir se couvrir contre un scénario où les compétences en matière d’énergie seraient entièrement transférées aux Régions, et où la Wallonie déciderait de taxer le nucléaire.

Mais l’État belge a déjà concédé énormément de garanties. Une “clause de survie” est ainsi prévue, qui fait qu’en cas de modification de l’équilibre général des contrats suite à des circonstances indépendantes de la volonté des parties, de nouveaux accords devront être passés, qui offrent des protections identiques.

Le résumé

L'État belge et Electrabel auraient dû signer, le 31 octobre, la version finale de leur accord, mais les discussions se poursuivent.
Le principal obstacle est qu'Electrabel et sa maison mère veulent des garanties en béton contre un éventuel revirement de ce gouvernement ou d'un de ceux qui lui succédera.
Des dédommagements qui pourraient se chiffrer en centaines de millions d'euros sont pourtant déjà prévus, et leur principe devrait être inscrit dans une loi.
Mais même cela ne semble pas rassurer suffisamment Engie.