ENTRETIEN EXCLUSIF - Après les émeutes, «le pronostic vital du pays est engagé», affirme l’ancien directeur général de la DGSE au Figaro Magazine.

  • anon@kbin.socialOP
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    1 year ago

    Cette marche vers la sécession a tétanisé nos élites, qui en ont vite perçu le potentiel explosif. Mais, au lieu de la bloquer, puis de mener une stratégie patiente de roll back, elles se sont contentées d’un containment à court terme, à coups de subventions et reniements clientélistes, enrobés dans un discours fumeux de dénégation ou d’euphémisation, visant à acheter la paix sociale au jour le jour.

    Mais tant va la cruche à l’eau qu’elle se casse. Quand les diasporas, en gonflant démesurément (au bas mot 5 millions d’admissions supplémentaires depuis 2005), atteignent une masse critique qui les rend confusément conscientes de leur force irrésistible, quand les compromissions et les concessions unilatérales deviennent autant d’aveux de faiblesse appelant à la transgression, quand ces contre-sociétés portent l’audace à s’ériger en souverainetés concurrentes sur un même espace «un et indivisible», eh bien, le couvercle de la Cocotte-Minute finit par sauter, dès que l’occasion se présente.

    En 2005, une première éruption en chaîne avait servi d’avertissement. Hors la tentative d’apaisement budgétaire par la «politique de la ville», il n’en a été tenu aucun compte. Le déchaînement des jours derniers, d’une tout autre envergure, n’est que l’aboutissement de cet aveuglement.

    LF:
    Qu’est-ce qui vous semble différent par rapport au scénario de 2005?

    PB: Je veux être honnête avec vos lecteurs. Je ne possède aucune information qu’ils n’ont pas. Je m’efforce seulement d’analyser les choses, selon deux principes très simples: d’une part, les causes entraînent des conséquences («ce qui doit arriver arrive»), d’autre part, le seul critère décisif pour évaluer une situation de conflit est le rapport de force. Il n’est pas inutile de rappeler, d’abord, que des émeutes isolées sont monnaie courante depuis quarante ans, aux quatre coins du pays, sous l’étiquette technocratique de «violences urbaines». Au point que plus personne ne leur prête attention, comme si elles faisaient partie du paysage. Erreur fatale.

    L’embrasement de 2005 nous a enseigné qu’il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu à la plaine. On a donc retrouvé ces jours-ci plusieurs traits de ce qui s’est passé il y a dix-huit ans.

    Même démarrage, consécutif à une présumée «bavure» policière. Même violence polymorphe à triple finalité: «métapolitique» (contre tout ce qui représente la France et son État), utilitaire (pillages d’envergure), gratuite (vandalisme nihiliste). Mêmes auteurs quasi-exclusifs: les jeunes hommes de banlieue, où ils font régner la loi du plus fort. Même ressemblance apparente avec les flambées racialisées des «ghettos» américains. Même prédilection pour la nuit, à l’instar de toutes les guérillas du monde. Même cadre exclusivement urbain.

    Même restriction, de part et d’autre, quant à l’usage des armes les plus létales, à la différence, cette fois, des États-Unis. Mais, aussi, même impuissance des forces de l’ordre, pourtant mobilisées à leur maximum, à calmer une mer démontée. On veut également croire au caractère pareillement spontané de cette explosion «façon puzzle», sans coordinateur national, ni encadrement militant: on ne discerne toujours pas de comité central, de «shura» islamique ou de syndicat de dealers, à la manœuvre derrière les «casseurs». On ne discerne pas non plus l’émergence d’un mouvement ayant le retentissement et la pérennité de «Black Lives Matter», la tentative de récupération initiale par le clan Traoré relevant de la parodie.

    Mais, au-delà de ces similitudes avec le passé, les différences sont éclatantes et vont toutes dans le sens d’une exceptionnelle aggravation de «quantité», mais aussi de «qualité».

    En termes d’amplitude, les statistiques officielles donnent à penser - aux historiens de le vérifier - que rien de comparable ne s’est produit dans les villes françaises depuis la Révolution de 1789 ou, au minimum, les semaines ayant suivi la Libération. En particulier, on ne peut être qu’effaré par l’extraordinaire prolifération de la dimension délinquante, sorte de jaillissement paroxystique de la surcriminalité endémique des diasporas. Malheureusement, ces informations taisent le nombre de protagonistes, que l’on peut évaluer très approximativement entre 100.000 et 200.000 personnes (en appliquant le ratio optimiste de 1 % aux effectifs appréhendés chaque nuit). Estimation au doigt mouillé, mais qui permet, au moins, de mettre en doute le cliché rassurant de «l’infime minorité».

    LF:
    Quels sont les changements de nature de ces émeutes?

    PB: Ils sont, à mon avis, de trois sortes.

    Le premier tient au rôle décuplé des réseaux sociaux, devenus à la fois des accélérateurs de concurrence mimétique et des multiplicateurs de transparence en temps réel. Impact malaisé à mesurer, mais probablement majeur.