leparisien.fr Malgré des stars, ils font des bides : ces films que (presque) personne ne voit Par Catherine Balle Le 15 octobre 2023 à 07h45 8–10 minutes

Derrière les arbres, la forêt. Au-delà des 7,4 millions de spectateurs de « Super Mario Bros », des 5,8 millions d’entrées de « Barbie » et des 4,6 millions d’« Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu », il y a les gros succès, les demi-échecs… et les flops retentissants.

Selon un récent rapport de la Cour des comptes, un tiers des films français sortis en 2019 ont enregistré moins de 20 000 entrées. Accidents industriels ou incidents de parcours ? Focus sur les bonnets d’âne du box-office. Même les stars n’évitent pas les flops

Parmi les quelque 70 longs-métrages qui échouent chaque année à passer la barre des 20 000 tickets vendus, la plupart sont des œuvres à très petit budget, des documentaires militants ou des films d’étudiants, qui ne sortent que dans une poignée de salles. On trouve cependant sous ce seuil une quinzaine de titres sortis en 2023 avec des comédiens connus.

« Passages », d’Ira Sachs, avec Adèle Exarchopoulos, n’a ainsi enregistré que 18 224 entrées, et « Petit Jésus », de Julien Rigoulot, avec Gérard Darmon, n’en a cumulé que 18 165. Quant au « Marchand de sable », de Steve Achiepo, avec Benoît Magimel, à « Juniors », d’Hugo P. Thomas, avec Vanessa Paradis, et au « Grand Chariot », de Philippe Garrel avec son fils Louis, ils n’en ont respectivement totalisé que 17 953, 12 605 et 10 276… Des scores riquiquis.

Certains films n’atteignent même pas la barre des 10 000 spectateurs. « Les Secrets de la princesse de Cadignan », d’Arielle Dombasle, avec elle-même et Julie Depardieu, toujours en exploitation dans quelques salles, a intrigué seulement pour le moment 7 390 curieux, et l’apparition de Catherine Deneuve dans « Habib, la grande aventure », de Benoît Mariage, n’a pas fait décoller une comédie qui culmine à 3 488 entrées.

Malgré son joli casting (Benjamin Biolay, Élodie Bouchez, Judith Chemla, Nicolas Duvauchelle et Nora Hamzawi), « Un hiver en été », de Laetitia Masson n’a quant à lui déplacé que 2 469 personnes ! Des causes multiples et une part de mystère

Qu’est-ce qui fait qu’un film « ne trouve pas son public », comme on dit pudiquement ? Des critiques ou un bouche-à-oreille négatifs ? Une mauvaise date de sortie ? Une météo défavorable ? Une actualité anxiogène ? Une notoriété trop faible ?

Certains professionnels soulignent l’impact structurel d’un trop grand nombre de longs-métrages en salles (le Centre national du cinéma a décompté 208 œuvres françaises en 2022, soit en moyenne quatre par semaine).

Vanessa Paradis incarne une mère absente dans « Juniors », peut-être trop discrète pour attirer les foules. Vanessa Paradis incarne une mère absente dans « Juniors », peut-être trop discrète pour attirer les foules. Joker films

« Dans les médias, sur les réseaux sociaux et les affiches, il n’y a pas de place pour tous les films qui sortent », note Alain Le Diberder, économiste du cinéma et animateur du site Alain.le-diberder.com. Reste la part de mystère, d’imprévisible, qui fait que les spectateurs sont « attirés » ou non par un titre. « Si on avait la recette, on ne ferait que des films qui marchent ! », sourit la productrice Florence Gastaud. Les distributeurs en première ligne

Celui qui y laisse des plumes quand un long-métrage fait un bide, c’est le distributeur, qui s’occupe du marketing, de la promotion et de la diffusion en salles. « Le distributeur est un joueur de poker », résume Florence Gastaud. « La distribution, c’est le casino : ça peut être très rentable ou très risqué », renchérit Jérôme Hilal, président de la société de distribution Zinc.

Chargé de la fabrication d’une œuvre, le producteur réunit les financements auprès des chaînes de télé, du Centre national du cinéma, qui distribue des subventions issues de la taxe sur les billets de cinéma, des collectivités locales qui proposent des aides, des Sofica (sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel) et, donc, d’un distributeur. Ce dernier apporte environ 20 % de l’argent d’un film et récolte ensuite un pourcentage des recettes en salles : parfois plus que sa mise initiale, parfois moins.

Quand un film ne marche pas, « tout le monde perd de l’argent, y compris l’exploitant », souligne la distributrice Sophie Dulac. Mais c’est le distributeur qui paie l’essentiel des pots cassés. Le producteur, lui, ne perd de l’argent que s’il a misé son argent personnel, ce qui est rarissime.

« En règle générale, le producteur ne met pas un rond dans un film et ne prend pas de risque », affirme Alain Le Diberder. En revanche, les sociétés de production peuvent perdre de l’argent en cas d’imprévu dans la fabrication d’un film ou sur les projets de longs-métrages qui n’aboutissent pas — « ce qui est le cas de trois projets sur quatre », précise Florence Gastaud. Les « petits films » moins risqués que les autres

Dans le jargon du cinéma, un « petit film », c’est un long-métrage avec un budget de moins de 2 millions d’euros, dont personne n’attend a priori qu’il engrange plus de quelques dizaines de milliers d’entrées. Ces œuvres-là bénéficient de tout un éventail d’aides du CNC. « Les petits films sont plus aidés que les gros », explique Jérôme Hilal. Qui poursuit : « En réalité, ce n’est pas avec eux que les distributeurs perdent de l’argent, c’est sur les films à budget moyen qui font moins de 100 000 entrées. »

« Petit Jésus » avec notamment Gérard Darmon (au centre), a coûté plus de 3 millions d’euros, ce qui rend son échec en salles beaucoup plus difficile à amortir pour un distributeur. « Petit Jésus » avec notamment Gérard Darmon (au centre), a coûté plus de 3 millions d’euros, ce qui rend son échec en salles beaucoup plus difficile à amortir pour un distributeur. Wild Bunch/Chapka Films/Julien Panié

Le scénario catastrophe pour un distributeur, c’est le long-métrage qui se crashe en salles alors qu’il a coûté plus de 3 millions d’euros… comme « Petit Jésus » , de Laurent Rigoulot, ou « les Secrets de la princesse de Cadignan », d’Arielle Dombasle. Dans ces cas-là, il ne reste plus qu’à espérer se rattraper avec d’autres titres (« Un bon distributeur gagne de l’argent avec deux films sur cinq », estime Jérôme Hilal) ou avec son catalogue, c’est-à-dire les œuvres dont il détient les droits. Pour les acteurs : un flop, ça va…

Faire un bide en salles est-il un handicap pour un comédien ? « Il y a des acteurs bankables et des acteurs pas bankables, affirme la distributrice Sophie Dulac. Par exemple, Raphaël Quenard, qui vient de connaître deux succès avec Chien de la casse et Yannick, va jouer dans trois films cette année. » Figurer dans un flop ne signe cependant pas la fin d’une carrière… à condition que les bides ne se succèdent pas.

Ainsi, tourner dans « Don Juan », de Serge Bozon, qui a culminé à 50 000 entrées, n’a pas empêché Virginie Efira et Tahar Rahim de continuer à enchaîner les « gros » films. « Mais on voit des comédiens et des comédiennes passer des premiers rôles à des rôles secondaires, puis à des troisièmes rôles après plusieurs longs-métrages qui n’ont pas marché, remarque Florence Gastaud. Quand on présente des castings à des distributeurs, on nous répond parfois qu’Untel ou Unetelle ne fait plus d’entrées. » Ces réalisateurs qui ont commencé par des bides

Beaucoup de cinéastes ont connu des flops au début de leur parcours : Michel Hazanavicius a attiré 12 000 spectateurs seulement avec « Mes amis », son premier film, Valérie Donzelli et sa « Reine des pommes » ont plafonné à 27 744 entrées, Maïwenn n’a séduit que 41 319 spectateurs avec « Pardonnez-moi ». Cédric Jimenez, l’auteur des cartons « BAC Nord » et « Novembre », n’avait pas dépassé 55 494 tickets vendus avec « Aux yeux de tous ».

Après avoir remporté la Palme d’or pour « Anatomie d’une chute », la réalisatrice Justine Triet a défendu un « monde qui considérait encore possible de se tromper et de recommencer ». Après avoir remporté la Palme d’or pour « Anatomie d’une chute », la réalisatrice Justine Triet a défendu un « monde qui considérait encore possible de se tromper et de recommencer ». Icon Sport

Justine Triet, elle, avait cumulé 30 951 tickets seulement avec « la Bataille de Solférino » avant de remporter, dix ans plus tard, la Palme d’or grâce à « Anatomie d’une chute ». Lors de son discours à Cannes, la réalisatrice avait d’ailleurs évoqué l’« exception culturelle sans laquelle (elle ne serait) pas là » et ce « monde qui considérait encore possible de se tromper et de recommencer » et qu’elle considérait en danger.

« On ne crée pas un cinéaste du jour au lendemain, argue la productrice Florence Gastaud. Les premiers films, c’est la part recherche et développement de notre activité. Ceux qui ont vu la première réalisation d’Hazanavicius ont compris que c’était un bon metteur en scène. Et c’est pour ça qu’on est venu le chercher ensuite pour faire OSS 117. »

Pour Alain Le Diberder, le système est « tolérant » avec les échecs commerciaux. L’économiste du cinéma considère que le box-office ne détermine pas la carrière d’un réalisateur, qui est aussi liée au bouche-à-oreille et aux « coteries ». « Le cinéma en France, c’est un milieu minuscule, exclusivement parisien, souligne-t-il. Pour faire des films, il faut d’abord avoir des réseaux et la carte. »

  • @CamusOP
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    38 months ago

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  • @Skunk
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    2
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    8 months ago

    Intéressant, c’est plus ou moins ce que m’avaient expliqué des réalisateurs (Suisse).

    Le cinéma US fonctionne au chiffre, si tu bide t’es pas payé voir tu perds beaucoup.

    Le cinéma français fonctionne à la subvention, si tu bide c’est pas grave t’as déjà été payé (et apparemment c’est juste le distributeur qui perd de l’argent).

    C’est dommage car j’adore le cinéma français mais avec cette logique je peux comprendre qu’on se lance sur des projets moyens ou avec peu de marketing juste pour le chèque et sans trop se soucier des ventes.

    • @CamusOP
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      Français
      28 months ago

      C’est dommage car j’adore le cinéma français mais avec cette logique je peux comprendre qu’on se lance sur des projets moyens ou avec peu de marketing juste pour le chèque et sans trop se soucier des ventes.

      Complètement. Puis tu as les délires comme Guillaume Canet et son Astérix, ou il fait limite culpabiliser les gens s’ils ne vont pas voir son film, parce que ça devrait “sauver le cinéma français”. Mec, ton film est claqué, c’est tout.

      • pbbp [tous]
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        Français
        28 months ago

        Toutes les tentatives d’américaniser le cinéma français en poussant à la création de “blockbusters” comme a essayé Canet avec ce film sont vouées à l’échec. On n’a ni la thune ni l’hégémonie culturelle.

        • @CamusOP
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          28 months ago

          J’ai l’impression qu’en plus la qualité des films qui tentent ça est très discutable. J’avais gardé un souvenir relativement bon du 5ème élément, dans le style blockbuster SF

          • pbbp [tous]
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            Français
            28 months ago

            C’est vrai que c’est un peu un contre-exemple, et sans doute le “blockbuster” français qui a le mieux réussi (le seul peut-être ?). Il s’appuie quand même beaucoup sur le deuxième point, l’hégémonie culturelle, en étant en anglais et avec des stars américaines, bien qu’étant produit par Gaumont. Toute la CGI est faite par des ricains aussi.

      • Professeur Falken
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        Français
        28 months ago

        Cette séquence m’avait beaucoup fait rire lors de son passage à la télé.
        Ça m’avait rappelé l’affaire GameStop.

        • @CamusOP
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          Français
          28 months ago

          Y avait un peu de ça effectivement!

      • @Skunk
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        Français
        28 months ago

        Effectivement, j’ai vu le film seulement car il y avait canal+ à l’hôtel et que ça faisait un bon fond sonore pour jouer à la steam deck, il est passé plusieurs fois et je ne crois pas avoir retenu une seule scène.

    • pbbp [tous]
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      Français
      28 months ago

      Je ne vois pas en quoi c’est dommage du point de vue de la qualité des films de les subventionner. Aux EU, la pression financière est très souvent ce qui tue toute ambition artistique et pousse justement à faire de la merde consensuelle par peur du risque. Bien sûr, on fait de ça aussi en France mais le CNC permet justement à autre chose d’exister malgré un marché plus petit. Et je pense que la certitude de ne pas être ruiné à la fin de l’exploitation va plutôt mener à plus de liberté artistique et donc de qualité et, qu’au contraire, c’est la peur de l’échec financier qui amène souvent à faire quelque-chose de moyen.

      Je suis d’accord, il pourrait cependant y avoir un effort de communication car c’est du gâchis de voir certains très bon films faire seulement quelques dizaines de milliers d’entrées. Et c’est malheureux que ce soit en général le public CSP+ qui soit trop souvent presque le seul à en profiter.

      • @Skunk
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        Français
        38 months ago

        Je ne suis pas contre non plus pour les mêmes raisons. Sans parler de l’accès facilité au métier (en oubliant Paris, c’est un problème Franco-français) grâce à ça. Ma pote est une no one et pourtant son dernier film a été félicité au festival de Berlin (“L’amour du Monde” par Jenna Hasse), c’est grâce aux aides et subventions qu’une jeune femme vaudoise est devenue réalisatrice.

        Mais comme d’habitude je fais mon neutre helvétique de base; Entre le système US qui tue la créativité et le système français qui est créatif mais ne vend pas, il y aurait peut-être un juste milieu pas trop mal à trouver, peut être dans un autre cinéma européen (anglais, danois, ???).